Aviculture : Le marché Ivoirien aspire la volaille Malienne

  • 14/05/2015
  • Source : L Essor
L’annonce de la grippe aviaire chez notre voisin du Burkina Faso, a fait basculer une bonne part des importations sur le Mali

Jamais le poulet en provenance du Mali n’a été aussi présent sur les bords de la lagune Ebrié. En effet, réagissant à l’interdiction du poulet burkinabè pour cause de grippe aviaire, des marchands de volailles maliens se sont élancé à la conquête du marché ivoirien. Et cela semble leur réussir. Du coup, la Côte d’Ivoire est devenue un débouché important pour la volaille de notre pays.

Pour comprendre bien cette nouvelle situation, un petit rappel s’impose. Depuis février dernier, le Burkina Faso est victime d’une réapparition de la grippe aviaire. La présence du virus H5N1 a été confirmée par les résultats d’analyses effectuées par l’Organisation mondiale de la santé animale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Depuis, les pays qui importaient de la volaille du Burkina Faso ont pris des mesures drastiques pour interdire ces importations.

La Côte d’Ivoire a ainsi stoppé toute importation de volaille du Burkina Faso qui était son principal fournisseur. De source officielle ivoirienne, le Pays des hommes intègres fournissait à lui seul près de 60 % des besoins ivoiriens en volaille. Le reste des besoins étant comblé par la production locale et des importations en provenance de notre pays. Ainsi, pour combler le gap occasionné par l’arrêt des importations burkinabé, les marchands de volaille ivoiriens se sont tournés vers le Mali et vers d’autres pays de la sous-région.

Pourtant, aucun mouvement intensif de volaille malienne vers la Côte d’Ivoire n’est encore perceptible au poste douanier de Zégoua. Le chef de bureau assure n’avoir enregistré à ce jour aucune déclaration d’exportation de volaille vers notre voisin du sud. Mais, concède-t-il, Zégoua n’est pas le seul point de passage vers la Côte d’Ivoire. Il y a aussi Kadiana, Manankoro, Bengué, etc. « En plus, il y a le fait que les populations des deux pays ont tissé des systèmes de relations commerciales à travers les foires hebdomadaires souvent fugaces et difficilement contrôlables par le corridor douanier », indique-t-il.

Il est vrai que dans notre pays, le commerce de la volaille se distingue par son caractère informel. En effet, les marchands sillonnent les foires hebdomadaires des grandes zones de production pour s’approvisionner. Des centaines de volatiles sont donc entassés dans des cages de fortune et traversent ainsi les frontières. La méthode ne facilite pas une évaluation du niveau des exportations de notre pays. De plus, les frontières sont poreuses et les réseaux d’information très faibles.

Chez les grands industriels du secteur, impossible également de se faire une idée du niveau des opérations d’exportation. Certains opérateurs rencontrés assurent écouler leur production sur le marché local. « Nous avons souvent des contrats avec les opérateurs d’autres pays de la sous-région notamment le Sénégal et la Côte d’Ivoire, mais cela n’est pas fréquent. Cependant, depuis l’interdiction des importations à partir du Burkina Faso, nous avons été démarchés par des marchands de volaille ivoiriens qui sont surtout intéressés par nos poulets locaux très prisés pour les grillades et non les poulets de chair. S’il y a exportation massive, c’est certainement de poulets locaux et je pense que cela se fait de façon vraiment informelle à travers les foires hebdomadaires », analyse ce producteur de poulet de chair.

Cet autre producteur de poulet de chair qui a déjà exploré le marché ivoirien, indique que la Côte d’Ivoire importe du poulet de chair de France à travers de grandes firmes françaises. « C’est surtout leurs besoins en poulets locaux qui n’est pas comblé depuis l’interdiction du poulet burkinabé. Nos acheteurs locaux essayent de combler tant bien que mal ce vide. Donc s’il y a exportation massive ça ne concerne que la volaille locale », confirme t-il.

Spéculation et surenchere
Le nouvel attrait du marché ivoirien pour ces poulets locaux, appelés là-bas « poulets bicyclettes » (car leurs vendeurs se déplaçaient à vélo), a déjà conquis le secteur de la volaille. Des spéculateurs tentent de tirer profit de la situation en faisant circuler l’information que notre marché de volaille n’est pas bien approvisionné. La nouvelle tire naturellement les prix vers le haut. C’est pourquoi, aujourd’hui, certains vendeurs font monter les enchères. Il y a deux semaines, les poulets qui étaient vendus entre 2000 et 2500 Fcfa, selon le poids et la taille, coûtent aujourd’hui entre 3000 et 3250 Fcfa.

Pour cerner le phénomène, un tour sur quelques marchés de poulets s’imposait. Du marché Dibida, au marché de volaille de Kalabancoro en passant par le Grand marché et le marché de Médine, les poulets locaux sont rares dans les cages des revendeurs. Au Dibida, les marchands assurent recevoir de la volaille des villages environnants, des marchés ruraux hebdomadaires et aussi des grandes fermes.

Oumar Sangaré, vendeur de poulets, confirme que le volaille locale se fait actuellement rare sur le marché. Il cite plusieurs facteurs en cause. « Avant, on s’approvisionnait dans les foires de Ouélessebougou, Sanankoroba, Dialakoroba, Marakacoungo, Fana, Dioïla, Zambougou, Kéléya et même à Nonobougou. Ce sont des foires de proximité.

Aujourd’hui, on est obligé de parcourir des centaines de kilomètres, notamment dans les zones de San, Koutiala, Kadiolo, Bougouni pour s’approvisionner. Afin d’éviter de longs et coûteux voyages, beaucoup préfèrent donc s’approvisionner dans les fermes modernes. Ce sont des poulets métis. Les rares fournisseurs en poulets locaux se sont rués vers la Côte d’Ivoire où la demande en poulet exploserait actuellement », développe le commerçant.

La situation n’est pas pour déplaire à beaucoup de vendeurs comme Seydou Doumbia qui a déjà effectué un voyage à Pogo, une ville frontalière de la Côte d’Ivoire. Opérant habituellement au marché de Kalabancoro, il ne cache pas sa joie. « Il y a deux semaines, je sillonnais la zone de Yanfolila à la recherche de volaille locale, lorsque quelqu’un m’a parlé de la forte demande de l’autre côte de la frontière. J’ai donc emprunté une piste pour rejoindre la ville de Pogo avec plus de 200 poulets qui furent arrachés à 4500 Fcfa l’unité par un seul client, un restaurateur », témoigne-t-il.

ACTIVITE EN EXPANSION
L’attraction du marché ivoirien pourrait aspirer nos prix vers le haut car l’offre peinera à satisfaire la demande et à stabiliser les prix à leur niveau habituel même si l’aviculture est devenue une activité en pleine expansion dans notre pays. La production de volaille est, en effet, très développée actuellement. Il existe trois catégories de producteurs : les poulaillers traditionnels, l’aviculture populaire améliorée et l’aviculture semi-industrielle. Le poulailler traditionnel qui compte encore pour près de 70% du marché du poulet est généralement géré par les femmes. Elles le développent le plus souvent en complément de l’activité agricole ou de l’élevage familial. Elles produisent des races locales, à la chair goûteuse et très appréciée du consommateur.

Les deux dernières catégories d’aviculteurs opèrent généralement dans les périphéries des grandes villes. Dans les faubourgs de la capitale, l’aviculture est ainsi très développée de nos jours. Elle contribue à l’amélioration de l’équilibre nutritionnel des familles et des revenus des petits ménages tout en fournissant de l’emploi grâce aux réseaux de collecte et de commercialisation qui se sont tissé autour des centres de consommation ainsi que des «business» qui se créent dans le cadre des productions intensives.

La production avicole s’est développée ces dernières années à la grande satisfaction des consommateurs. Une baisse du prix des poulets est même survenue lors des dernières fêtes de fin d’année. Alors que traditionnellement, ces périodes de forte demande étaient choisies par les marchands pour faire monter les enchères.

Ces prix abordables sont valables aussi pour les poulets de chair. Aujourd’hui à Bamako, le kilogramme de poulet de chair est cédé entre 2000 et 2500 Fcfa selon les lieux de vente et les périodes de l’année. Et tous les acteurs rencontrés indiquent que seul un renchérissement du prix de l’aliment-volaille pourrait occasionner une hausse. Tel n’est pas le cas actuellement.

Si les marchands de volaille se réjouissent des opportunités offertes par la forte demande ivoirienne, les consommateurs redoutent un renchérissement des prix.

D. DJIRE