A Abidjan, les chantiers de logements sociaux à la traîne depuis trois ans

  • 07/07/2016
  • Source : LE MONDE
Il est presque 7 heures, quand Ibrahim*, 35 ans, maçon, rejoint le chantier de construction des logements sociaux d’Anyama, au nord d’Abidjan. Les retrouvailles avec ses collègues sont loin d’être joyeuses. Vêtus de leur tenue de travail et du casque de protection, ils ont la mine froissée. « On nous demande toujours de travailler rapidement. Mais lorsqu’il faut nous payer, les patrons ne sont jamais pressés », peste Ibrahim, en prenant sa taloche et ses truelles.

Avant d’être engagé sur ce chantier, ce père de quatre enfants était habitué à des travaux irréguliers. Ici, il gagne presque 3 000 francs CFA (4,5 euros) par jour, dimanche parfois inclus. « Depuis deux ans, le travail est journalier mais pénible, souffle-t-il. Nous avons réalisé une trentaine de maisons si rapidement que je me demande si les prochains locataires les trouveront de qualité. Les chambres sont vraiment petites. »

600 milliards de francs CFA

En 2013, le gouvernement ivoirien a lancé un projet de construction de 60 000 logements sociaux par an pour un coût de 600 milliards de francs CFA (923 millions d’euros). Pour la mise en route du projet sur soixante-douze chantiers, plusieurs promoteurs immobiliers ont été retenus et des souscriptions ouvertes aux populations à hauteur de 30 000 francs CFA (45 euros). Une maison de trois pièces devrait coûter entre 5 et 10 millions de francs CFA (7 622 et 15 244 euros).

Mais, trois ans après le début du projet, seulement 3 000 maisons sont sorties de terre, au grand dam des autorités. « Nous avons constaté plusieurs dysfonctionnements, précise Gnamien Konan, ministre de l’habitat et des logements. Sur certains chantiers, les travaux connaissent un gros retard. Sur d’autres, des promoteurs ont vendu plus de logements qu’ils n’en ont construits. »

« L’Etat sait que nous sommes confrontés à des problèmes fonciers, de manque de voirie et réseau divers et de manque de rentabilité des maisons en hauteur », réagit Souhalio Camara, entrepreneur. Il accuse l’Etat de n’avoir pas joué son rôle. « L’Etat devait négocier les taux des prêts immobiliers avec les banques pour les stabiliser à 5,5 %. Cela n’a jamais été fait et on se retrouve avec des intérêts entre 7 % et 9 % », précise-t-il.

Bataille rangée

Bien que loin des bureaux du Plateau, le centre des affaires de la capitale économique où une bataille rangée a lieu entre le gouvernement et les promoteurs immobiliers, Ibrahim est inquiet : « Je crains un matin d’être chassé du chantier, confie-t-il. Je veux bien aller au terme de la construction des cent vingt-six logements qui nous ont été confiés, mais les patrons nous doivent déjà plusieurs semaines de salaire. Certains de mes collègues sont partis. J’y pense aussi. »

Partir mais pour aller travailler où ? Ces ouvriers du bâtiment, près de 6 000 sur les différents chantiers de la ville rencontrent quasiment les mêmes difficultés. « Peu importe. Pourvu que je gagne au moins 5 000 francs CFA par jour et de façon régulière, comme sur certains chantiers de Songon [ouest d’Abidjan] », conclut-il. En cette période de jeûne, Ibrahim s’isole pour le dohr, la prière de la mi-journée.