Dans quelques semaines, si rien ne vient à changer le calendrier, les électeurs ivoiriens seront appelés aux urnes pour répondre à la question suivante : « Approuvez-vous le projet de constitution proposé par le Président de la République? »
Pour certains, la réponse sera « OUI » et pour d’autres, ce sera « NON ». En attendant, les débats ont cours autour de cette initiative de réforme constitutionnelle tant sur l’opportunité, la méthode et le contenu de l’avant projet de Constitution.
Au regard de la proposition de l’avant projet par le comité d’experts, il est sans conteste que cette Constitution nous fera entrer de manière indéniable dans une nouvelle république conforment au désir du Chef de l’Etat, mais surtout au regard des bouleversements majeurs du mode d’organisation politique des pouvoirs et de gouvernance qu’introduit cette Constitution.
Si le « Oui » l’emporte au prochain référendum, la Côte d’Ivoire va donc entrer inéluctablement dans une autre République. Le moment est-il opportun ?
Sur cette question les avis divergent d’un camp politique à un autre et d’un citoyen à un autre. Pour notre part, l’opportunité d’un tel projet pourrait s’apprécier au regard de notre histoire surtout dans sa dernière décennie avec la crise militaro-politique de 2002-2011.
La page de la crise doit être définitivement fermée et le projet de nouvelle constitution offre bien une occasion favorable pour réécrire une nouvelle page d’espérance et de concorde entre les fils de la Nation.
Il faillait bien qu’on le fasse un jour et nous sommes condamnés à le faire pour construire notre pays autour d’un contrat social qui rassemble les fils et les filles de la Côte d’Ivoire. S’agissant de la méthode, comme cela est enseigné dans les cours de droit, la constitution au sens formel est élaborée selon des techniques juridiques très variées.
Comme nous l’indiquait le Dr Batafoué en première année d’université : « Quelques soit les techniques ou les procédures, la rédaction d’une Constitution fait intervenir un pouvoir constituant originaire. Et la Constitution étant la Loi suprême, elle doit être l’oeuvre de la volonté d’un organe bénéficiant d’une autorité politique suprême, c’est à dire détentrice d’un pouvoir suprême ou souverain ».
C’est donc dire que le pouvoir constituant détenant un pouvoir inconditionné puisqu’il devient la source ou le commencement de tout ordre juridique nouveau, il doit être investit de l’autorité du souverain, le Peuple afin que son produit ait une pleine légitimité.
En fonction du détenteur du pouvoir constituant originaire, il existe deux procédures d’élaboration de la constitution : Le procédé autoritaire et le procédé democratique d’élaboration.
Aucune institution privée ou publique n’a donnée approbation ou improbation aux opinions écrites dans le présent texte.
Elles doivent être considérées comme propres à leur auteur.
1- Le procédé autoritaire
Selon cette technique d’élaboration de la Constitution, le pouvoir constituant est détenu par un homme qui est le monarque dans une monarchie ou le dictateur dans un régime d’exception.
Dans ce cas, la Constitution procède d’un acte unilatéral du souverain monarque ou dictateur. Elle se caractérise par l’exclusion du peuple dans l’opération constituante.
Cette procédure peut prendre la forme d’un octroi quand c’est le monarque qui fait « don » à son peuple ou d’un pacte entre le monarque et le peuple qui plébiscite ce pacte par un « Oui ».
2- Le procédé democratique d’élaboration
Par ce procédé, le pouvoir d’élaboration de la constitution appartient au peuple. Le peuple va donc élire une assemblée constituante. Cette assemblée peut être souveraine ou non. L’assemblée est dite souveraine lorsqu’elle élabore la constitution et adopte la constitution.
L’assemblée est dite non souveraine, lorsqu’elle élabore uniquement la constitution et l’adoption se fait par le peuple lui-même.
Pour éviter le double vote : Election de l’assemblée constituante, ensuite l’adoption par referendum, une troisième option est plus souvent choisie : La conférence nationale ou le comité constitutionnel. Ici, ce sont les forces sociopolitiques et intellectuelles qui élaborent le texte dans le cadre d’un consensus et le soumet au vote du peuple. C’est le cas de plusieurs pays africains comme le Benin et le Burkina Faso.
Aussi, ce qui est peut être considérée comme une quatrième option de procédé democratique au regard des expériences dans le monde, c’est l’exemple de la France en 1958 lors de l’élaboration de la Constitution de la cinquième république.
La rédaction de cette constitution intervient dans un contexte difficile lié à l’instabilité gouvernementale chronique de la 4ème République et de la guerre en Algérie.
Au regard de cette crise, De Gaulle investit chef de gouvernement en juin 1958 par 329 voix contre 224 reçoit les pleins pouvoirs de l’Assemblée notamment par l’adoption de trois importantes lois dont celle de la Loi constitutionnelle modifiant la procédure de révision de la Constitution, prévue par l’article 90 de la Constitution de 1946, jugée trop lente. Félix Houphouët Boigny faisait partie de ce gouvernement. Cette Loi impose au gouvernement des conditions spéciales de procédures.
Elle lui confie le soin d’élaborer un avant projet qui doit être soumis ensuite à l’avis d’un organisme crée spécialement pour l’occasion.
Pour la rédaction du texte, le gouvernement met en place un comité technique d’experts constitué de juristes et des spécialistes du droit.
Le comité consultatif constitutionnel est quant à lui composé principalement de l’assemblée nationale (16 députés), du conseil de la république (10 Sénateurs) et 13 personnalités compétentes indépendantes issues de divers secteurs (Agriculture, diplomatie, religieux, Association, enseignement, etc.).
Les 36 membres de ce comité étaient issus quasiment de tous les partis politiques français de l’époque et même des colonies.
Léopold Sédar Senghor et Amadou Lamine Gueye du Sénégal faisaient partis de ce comité dont le président, Paul Reynaud n’a pas été nommé par le Général De Gaulle mais élu par l’ensemble de ses membres
Aucune institution privée ou publique n’a donnée approbation ou improbation aux opinions écrites dans le présent texte. Elles doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Selon des personnalités proches du gouvernement, c’est cette quatrième option qui a été privilégié par le gouvernement. A l’analyse, on peut l’affirmer en ce sens qu’un comité d’experts de juristes a été mis en place.
Cependant, il n’y a pas eu de comité consultatif constitutionnel issu de diverses couches pour un avis avant le référendum comme en France. Ce travail est laissé dans notre cas à l’assemblée nationale.
C’est le choix du Chef de l’Etat. Et ce choix est légal. Cependant, aidera-t-il dans notre contexte à avoir le consensus idéal préalable ? Comme nous l’avions suggéré le 27 septembre 2016, n’aurait-il pas été plus consensuel et inclusif de mettre en place un comité d’avis et d’analyse composé de représentants de la coalition au pouvoir, de l’opposition, de la société civile et de personnalités indépendantes compétentes pour une relecture et des avis après le travail du comité des experts ?
Il est vrai qu’il n’existe pas d’énoncés normatifs ou prescriptifs ou une règle de droit s’imposant au Chef de l’Etat.
Cependant, n’aurait-il pas été plus adéquat et bien-fondé au regard de notre histoire et du contexte sociopolitique d’oeuvrer pour une large implication à travers un comité consultatif avec notamment les partis politiques et la société civile après le travail du comité des experts ? On ne peut le nier, une constitution est d’abord et avant tout un contrat social et politique, un instrument de régulation et de bonne gouvernance de la société.
La classe politique (pouvoir et opposition) et les acteurs sociaux (ONGs, Syndicats, Associations, Medias, etc.) du pays auraient pu être parties prenantes dans le processus parce qu’ils participent, dans le cadre qu’entend créer la (futur) constitution à la gouvernance ainsi qu’animation des institutions prévues par cette constitution.
Magloir N'déhi
Photo:DR