C'est en désespoir de cause qu'elles se sont rassemblées dans la cour de la cité administrative, au Plateau, tôt le matin, ce lundi 11 février 2019, pour entamer, ensemble, une grève de la faim de trois jours.
Juste au bas de l'immeuble où se tient le cabinet du ministère de la Solidarité. Près d'une centaine de victimes de la crise ivoirienne, y compris celles de Nahibly, à Duékoué, se sont retrouvées pour crier leur amertume face à ce qu'elles ont appelé « un délaissement » de la part des autorités en charge de leur situation. Emmenés par le président du Collectif des victimes des crises en Côte d'Ivoire (Cvci), Issiaka Diaby, ces femmes, ces hommes, amputés pour certains, ces jeunes vivant désormais avec des handicaps, ont voulu faire le siège de la cité administrative.
Mais ils ont été vite dissuadés par les autorités policières de la ville, dirigées par le préfet de police d'Abidjan. Celui-ci a réussi à les convaincre de quitter les lieux, se refusant d'user de la force pour les déloger. Eux qui traînent déjà tant de souffrances. Finalement, ces victimes ont trouvé refuge dans l'enceinte de la mairie rénovée d'Adjamé, dans la commune d'à côté. Sur place, Issiaka Diaby leur a demandé, tant bien que mal, de garder espoir parce que le préfet de police souhaitait les rencontrer pour échanger. Ainsi, 8 personnes ont été désignées : 2 personnes pour relever les problèmes des victimes de Duékoué, 2 autres pour parler de la situation des orphelins du fait de la crise, 2 autres encore pour défendre les blessés de guerre, et 2 personnes pour poser la question des biens matériels détruits et/ou confisqués.
Par ailleurs, le président du Cvci les a informés qu'une délégation de 20 personnes devrait être reçue incessamment par les « autorités ». Un soulagement pour certaines victimes qui ont dit attendre cette rencontre, pour s'exprimer véritablement.
Venu de Duékoué pour participer à l'action engagée par Issiaka Diaby et le Cvci, Kpahé Julien, un planteur d'une quarantaine d'années, accompagné de plusieurs personnes, s'est présenté comme le porte-parole des victimes du massacre du camp de réfugiés internes de Nahibly, dans la commune de Duékoué, le vendredi 20 juillet 2012. À cette date, ce camp 3 qui était pourtant gardé par un contingent de Casques bleus issus du Maroc, avait subi un assaut meurtrier de personnes armées de gourdins, de machettes, d'armes à feu. Plusieurs morts avaient été dénombrés.
« Les morts, on ne pouvait pas les déchiffrer. Il y en avait beaucoup mais ce sont les six corps qui ont été retirés des puits. Ils ont dit qu'ils allaient revenir pour l'opération d'exhumation. Cela n'a pas été fait jusqu’aujourd'hui. Certains ont leurs parents qui ont disparu jusqu'à ce jour. Je n'ai pas eu le temps de compter les corps mais il y a jusqu'à 12 puits où les corps ont été enfouis », a indiqué M. Kpahé. Il a informé qu'à Nahibly et dans le département de Duékoué, depuis 2012, 57 corps ont été exhumés et transférés à Abidjan. « Ils ont été transportés à Abidjan, depuis août 2012. Jusqu'à présent, on ne nous rend pas les corps, on ne sait pas pourquoi. On interpelle les autorités pour qu'on puisse enterrer dignement nos corps », a-t-il lancé, pathétique.
Avant de réclamer une indemnisation. « Les victimes que nous sommes, jusqu'à présent, on n'a pas été indemnisées. Nous lançons notre cri du cœur aux autorités. Depuis le massacre de Nahibly, nous avons essayé de reconstruire nos vies, mais tout est parti en fumée. Nous prions les autorités ivoiriennes de venir à notre secours parce que nos frères sont partis, nous laissant des orphelins. Des femmes ont perdu leurs maris, qui ont besoin d'activités génératrices de revenus pour s'occuper des orphelins. C'est ce que nous demandons aux autorités. Mais il faut qu'on nous ramène nos corps qui ont été exhumés. Il y a eu des exhumations. Mais soyons sincères, quand le gouvernement a envoyé des équipes pour exhumer les corps, nous nous sommes opposés pour des raisons multiples. On ne retourne pas les autres corps, on va exhumer d'autres corps pour aller où ? », a-t-il déclaré, assurant qu'il parle au nom de ses « parents » qui l'ont mandaté.
Pour Kpahé Julien, il n'était pas question de laisser le Cvci parler uniquement des victimes d'Abobo et de Bouaké, pendant que les victimes de Duékoué sont laissées pour compte. Ainsi, pour lui, il fallait adhérer au Cvci de Issiaka Diaby, pour espérer se faire entendre des autorités ivoiriennes, à Abidjan. « Depuis l'ouest, on ne nous écoute pas. Comme son mouvement (Cvci) est en marche, il faut qu'on y adhère. Il faut que les parents se tranquillisent. Si Dieu le permet, on peut aboutir à un résultat positif… C'est un mouvement national et j'espère que dans un bref délai, les choses seront faites pour nous aider », a-t-il affirmé, tout optimiste.
Hervé KPODION
Crise post-électorale de 2011: Désespérées par leur situation, des victimes de l'ouest veulent engager une grève de la faim