On les appelle encore «les disparus du Novotel». Seuls les restes du corps de l’un d’entre eux ont été retrouvés. Longtemps, leurs familles ont espéré qu’ils ne soient que détenus.
Mais près de six ans après l’enlèvement de Stéphane Frantz Di Rippel, Yves Lambelin, deux Français, Raoul Cocou Adeossi, béninois, et Chelliah Pandian, malaisien, le 4 avril 2011 au Novotel d’Abidjan, plus personne n’a espoir de les retrouver vivants.
Pour la justice ivoirienne, plus de doute : les quatre hommes ont été assassinés. Ce mardi s’ouvre dans la capitale économique de la Côte-d’Ivoire le procès de dix fidèles de l’ancien président Laurent Gbagbo soupçonnés de les avoir enlevés, torturés et tués.
Ce 4 avril 2011, des tirs nourris résonnent autour du Novotel d’Abidjan. La ville connaît de violents combats lorsqu’en début d’après-midi, un commando d’une dizaine d’hommes en treillis fait irruption dans l’hôtel. L’établissement est devenu un refuge pour une cinquantaine de personnes, dont de nombreux journalistes. En plein centre d’Abidjan, à 500 mètres du palais présidentiel, il se trouve au cœur d’un des derniers bastions tenus par les fidèles de Laurent Gbagbo.
Militaires et miliciens se battent contre les hommes d’Alassane Ouattara, dont la victoire à l’élection présidentielle a été reconnue par la communauté internationale. Mais après quatre mois d’affrontements, face à des adversaires appuyés par la France et les Nations unies, ils sont acculés.
Lorsqu’il entre dans le Novotel, que cherche le commando ? Des journalistes, des espions, des boucliers humains, des «Blancs» ? Les hommes montent au 7e étage, où se trouve Stéphane Frantz Di Rippel, le directeur de l’hôtel. L’un d’eux lui demande où sont les journalistes. Il ne les livre pas. Il est embarqué.
Le commando emmène aussi Yves Lambelin, le directeur de Sifca, plus importante entreprise privée du pays, et ses deux collaborateurs, Raoul Cocou Adeossi et Chelliah Pandian. Selon l’enquête, les quatre hommes sont conduits au palais présidentiel, où ils sont torturés et tués dans la journée. «Stéphane Frantz Di Rippel est mort en héros pour avoir protégé des journalistes», résume l’avocat de sa famille, Me Pierre-Olivier Sur.
Dix hommes sont finalement inculpés pour enlèvement, séquestration, disparition de cadavres et assassinats. Certains ont reconnu avoir participé à la descente au Novotel, plusieurs ont avoué avoir vu «trois Blancs et un Noir à moitié nus» dans une cour de la présidence. La plupart appartenaient à la très redoutée garde républicaine de Gbagbo.
Leur chef, Bruno Dogbo Blé, déjà condamné à la prison à vie dans une autre affaire, sera jugé lui aussi. «L’audience devra permettre de savoir qui est en haut du commandement. Gbagbo ? Simone, son épouse ? Y a-t-il eu un ordre politique ?» questionne Me Sur.
Il y a trois semaines, dans le tumulte et la chaleur de la cour d’assises, tout semblait enfin prêt. Dès les premières heures, beaucoup s’étaient faufilés entre les interminables files d’attente et les tas de dossiers poussiéreux abandonnés à même le sol pour s’assurer une place dans la salle d’audience. Mais au milieu des spectateurs, il manquait l’essentiel.
Plusieurs accusés, pourtant censés être en détention, étaient introuvables. D’autres n’avaient pas d’avocat, le président de la cour ne s’était pas préoccupé d’en commettre d’office. Le procès avait donc été reporté.
Sabotage ou incompétence ? Cet accroc est venu conforter le discours de la défense, qui ne cesse de dénoncer une instruction bâclée et «une mascarade de justice». Dans un pays loin d’être réconcilié, elle est bien décidée à donner aux audiences un tour politique. «Comme par hasard, ce sont toujours les mêmes qui sont devant les tribunaux», dénonce l’avocat de Simone Gbagbo, Me Rodrigue Dadjé, décriant une «justice des vainqueurs».
Anna Sylvestre-Treiner
Funérailles d'Yves Lambelin, un des quatre "disparus du Novotel"