En politique, j’ai deux amis. Des copains. L’un deux est si proche de moi qu’on se considère comme des frères. Je suis différent des deux par le caractère malgré une amitié de longue date et une grande proximité. A travers eux j’ai appris à comprendre comment se comportait l’homme féru de politique. Un constat se dégage. Ce sont des personnes qui aiment la foule.
Le contact permanent avec les gens est vital pour eux. C’est ainsi qu’ils semblent perdre la vie, mais s’ils sont physiquement sur la terre, dès lors qu’ils perdent une parcelle ou une totalité de leur pouvoir, de leurs fonctions. Pour ne pas gâter la sauce ils aiment l’argent. Pour entretenir surtout la cour qui les entoure. Mes deux amis, pendant cinq ans ou même plus pour l’un, ne manquaient jamais de se rendre dans leur commune, leur région, presque toutes les fins de semaine. Des plantations, des maisons leur appartiennent et beaucoup d’autres biens. A chaque fois que j’accompagnais l’un d’eux le scénario était identique. Visite et dons dans les hôpitaux, de l’argent aux différents chefs, rencontres avec les associations de femmes et de jeunes. Des tournois organisés, portant leur nom, dans toutes les disciplines des sports. J’ai remarqué aussi qu’ils attiraient beaucoup les flagorneurs. On leur disait à chaque fois qu’ils étaient les meilleurs. Ils repartaient toujours rassurés de leur popularité. Dans la voiture, dans le bureau, à la maison et même dans la chambre conjugale ils recevaient ou donnaient des coups de fil à leur base. Plus de cinq ans sur le terrain mérite une récompense suprême. Celle de diriger sa commune ou sa région. Quand la date des élections locales fut fixée je fus moi-même soulagé. Pendant cinq ans ou plus mes deux amis ne faisaient que me parler de leur ambition. Leur impatience était grande. Tous les mois ils me donnaient les résultats des élections à venir comme s’ils étaient astrologues.
Leur pourcentage ne cessait de grimper. La vraie élection ne pouvait qu’être une simple formalité. La différence entre eux et moi se situation dans la lecture. Eux n’aimaient que lire les journaux et moi tous les cinq genres de lecture. En plus, leur lecture de la presse était orientée. Celle de leur parti. Encore ils ne lisaient pas tous les articles du journal. Quelques titres, des articles survolés et une lecture attentive quand il s’agissait d’un article dénigrant un camarde du parti. Dans ce milieu de fauves l’union est un combat. On se sourit en permanence mais le poignard est fourré sous la chemise prêt à frapper dans le dos. Enfin, les résultats furent donnés. Mes deux amis passèrent à la trappe avec un grand rejet. Je leur avais toujours dit que pour connaitre l’homme il leur fallait beaucoup lire les auteurs classiques. Ceux que les siècles avaient confirmés. Ils avaient tout écrit de l’homme. Leur connaissance de l’humain est incomparable. Hélas, très peu de politiciens ont le temps de tenir en mains un livre pendant des heures. Ils n’ont pas appris à aimer le livre dès leur jeunesse. Seuls les ouvrages au programme leur servaient de repaire. Une abondante lecture des ouvrages de ravissement leur aurait permis de trouver des stratégies adaptées à l’électeur africain. Celui-ci s’en fout royalement d’un programme électoral. Il n’attend que les bienfaits que peut lui apporter un candidat. Pour cet électeur, la traite se passe tous les cinq ans et après aucune trace du candidat. Il faut lui soutier le maximum d’argent. Et comme il y a plusieurs candidats c’est lui qui fait monter les enchères. Malheur à celui qui va se fier à son appartenance ethnique ou de sa collusion avec les chefs de village pour gagner les élections. Celui venant de loin et même aux derniers heures peut gagner s’il donne le double. L’un de mes amis a décidé de ne plus faire de politique. Terminé. Il va se contenter de ses fermes. Il ne cesse de me dire que les gens sont mauvais, ingrats et cupides. Cinq ans de campagne permanente pour aboutir à cette débâcle électorale. Mettre un temps si long pour savoir que l’électorat est volatile est inquiétant. Son propre directeur de campagne est passé à « l’ennemi » deux jours avant la fin de la campagne électorale. Je sais qu’il repartira de plus bel aux prochaines élections locales. La politique est un virus. On ne le guérit qu’en rentrant dans la cage aux fauves. L’autre ami m’a confirmé qu’il repartira dans cinq ans. Toutefois il ne sera présent sur le terrain qu’au moment de la campagne. Il viendra déverser tout l’argent qu’il a épargné des tournois de sports, des funérailles et autres mariages qu’il ne financera plus. Inutile, dit-il, de se donner pendant dix ans sur le terrain quand d’autres viennent à la dernière minute pour vous battre. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Les Samedis de Biton: l’ingratitude triomphante de la politique - Photo à titre d'illustration