Les redditions se succèdent avec les derniers combats contre l’EI.
Le drone survole les dernières rues d’Al-Midan, sur les bords du Tigre, dans la vieille ville de Mossoul, lundi 10 juillet. La lumière de fin de journée découpe les reliefs de ce quartier raviné par les combats entre les forces irakiennes et les derniers combattants de l’organisation Etat islamique (EI). Des pâtés de maisons entiers, rendus à l’état de ruines par les frappes aériennes, dessinent des trous béants dans le tissu compact de ce quartier datant de l’époque ottomane. D’autres, encore debout, ont été grignotés par les bombardements. En fin d’après-midi, ils se sont succédé à un rythme de plus en plus soutenu sur ce dernier réduit djihadiste dont les forces antiterroristes n’arrivaient pas à venir à bout, résonnant en écho toutes les cinq minutes.
Sur l’écran de son téléphone portable, le lieutenant-colonel Salam Jassem Hussein, de la première division des forces antiterroristes irakiennes (ISOF-1), montre du doigt la « surprise » découverte grâce à ce vol de drone. Des dizaines et des dizaines de personnes se tiennent dans la rue étroite, parallèle à la rive du Tigre. Dans les maisons qui la jouxtent de chaque côté, on devine que d’autres encore s’y massent. Des combattants armés sont clairement identifiables. Des hommes, les yeux bandés, sont adossés à un mur, apparemment prisonniers. Dans la cour intérieure d’une maison, des silhouettes noires témoignent de la présence de femmes enveloppées dans leur abaya avec des enfants.
« Je voulais arrêter la mission »
« Il n’y a que des combattants de Daech et leurs familles », assure l’officier, refusant d’envisager que de simples habitants du quartier se soient trouvés otages des djihadistes. « Mais, même si ce sont les épouses et les enfants de Daech, cela reste des civils », ajoute-t-il. Les djihadistes n’ont pas hésité à utiliser certaines de ces femmes et enfants pour attaquer en fin de journée, lundi, la 9e division de l’armée irakienne. Après avoir négocié leur reddition avec les soldats, deux cents personnes ont marché en direction de leur position, près du cinquième pont de Mossoul. A l’approche du barrage, quarante hommes munis de ceintures explosives ont fendu la première ligne de femmes et d’enfants pour aller se faire exploser contre les militaires.
A la reprise des combats, mardi matin, un nouveau survol de drone, doublé de vols de reconnaissance de la coalition internationale anti-EI, a confirmé que des centaines de personnes se trouvaient toujours dans la rue. En fin de matinée, le lieutenant-colonel Salam a laissé la ligne de front pour aller alerter son commandement, à la lisière de la vieille ville. « Ça tirait dans tous les sens sur le front. J’ai vu un grand nombre de corps de femmes, d’enfants et d’hommes. Je n’avais jamais vu cela, sauf peut-être pendant la bataille de Nadjaf [en 2004]. Je voulais arrêter la mission. Il y avait encore des milliers de personnes », raconte l’officier.
Sous l’autorité du général Abdelghani Al-Assadi, à la tête des opérations de Mossoul au sein des forces antiterroristes, la décision a été prise de rouvrir des négociations par l’intermédiaire de sympathisants de l’EI déjà sortis de la vieille ville. « On a décidé de monter un vrai point de contrôle et de les faire sortir cinquante par cinquante, bien alignés, pour éviter une nouvelle attaque », explique le lieutenant-colonel Salam.
« Les derniers d’entre eux »
« On leur a promis qu’on ne leur ferait rien et qu’ils seraient jugés. Eux n’ont émis aucune revendication. Ils n’avaient plus le moral, et ils ont compris que tout s’effondrait autour d’eux. C’est pour cela qu’ils se sont rendus en nombre jusque vers 17 heures », ajoute-t-il, précisant qu’il ne devait s’agir à sa connaissance que d’Irakiens. Ils ont été accueillis par l’armée loin des yeux des journalistes, interdits d’entrer à Mossoul, mardi, sur ordre du premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi.
« Après cela, il ne restait que quelques combattants à l’intérieur. On a recommencé à les attaquer. On en a tué quelques-uns. Il va falloir qu’on aille sécuriser la zone demain pour éliminer les derniers d’entre eux », poursuit-il. Vers 20 heures, mardi, le lieutenant-colonel Salam a enfin pu planter le drapeau irakien sur la rive du Tigre, comme ses camarades des autres unités combattantes les jours précédents, et marquer la reconquête complète de Mossoul, trois ans et un mois après sa chute aux mains de l’organisation Etat islamique.
Un membre des forces spéciales irakiennes surveille le ciel après une frappe de la coalition anti-EI, à Mossoul, le 10 juillet. LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE