Après plus de sept ans de détention provisoire à La Haye, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a bénéficié d'une libération conditionnelle, le 1er février 2019, en attendant l'examen d'un éventuel appel sur le fond contre son acquittement prononcé en première instance, le 15 janvier, par les juges de la Cour pénale internationale (CPI). Pour l’ancien chef de l’État et ses partisans, c’est incontestablement une victoire. Mais ce n’est pas forcément l’ultime rebondissement dans le long cheminement politique d'un homme passé du rôle d'opposant historique à celui de président, puis de premier ex-chef de l'État jugé à la Cour pénale internationale. Retour sur le parcours de ce politicien singulier dont la destinée reste inextricablement liée, depuis 40 ans, aux évolutions de la Côte d’Ivoire.
Laurent Koudou Gbagbo est né le 31 mai 1945, à Mama, près de Gagnoa, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Après un passage par le petit séminaire de la ville, il décroche son baccalauréat au lycée classique d’Abidjan, puis une licence d’histoire à l’université de la capitale économique ivoirienne en 1969. Il effectue ensuite un court séjour à l’université de Lyon, où il rencontre sa première épouse française, Jacqueline Chamois, avant d'obtenir une maîtrise d'histoire à l’université de Paris-Sorbonne.
En Côte d’Ivoire, c’est le « mai 1968 à l’ivoirienne ». La contestation gronde à l’université d’Abidjan. Des étudiants et élèves sont emprisonnés pendant quinze jours au camp militaire d’Akouédo, dans la capitale économique ivoirienne. Parmi eux, Laurent Gbagbo, déjà actif au sein de l’Union nationale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (UNEECI). En 1970 et 1971, il enseigne l’histoire au lycée classique d’Abidjan. Mais il est à nouveau pris dans la tourmente qui secoue son pays.
Le 31 mars 1971, toujours dans les activités syndicales, il est contraint « aux fins de redressement » d’effectuer près de deux ans de service militaire dans des conditions très dures, aux côtés notamment de Djeni Kobena, qui fondera 25 ans plus tard le Rassemblement des républicains (RDR).
A son retour à la vie civile, Laurent Gbagbo devient, en 1974, chercheur à l’Institut d’histoire d’art et d’archéologie de l’université d’Abidjan (IHAA), puis soutient une thèse de doctorat, en 1979, à l’université Paris VII sur le thème « Les ressorts sociaux-économiques de la politique ivoirienne-1940-1960». En 1980, il devient directeur de l’IHAA.
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A ces quelques années de calme, succède une nouvelle période agitée. En 1981 et 1982, les mondes scolaires et universitaires sont à nouveau en ébullition. Laurent Gbagbo est au cœur du mouvement à la direction du SYNARES (Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur), avec notamment Simone Ehivet, sa future épouse en secondes noces, et Pierre Kipré, qui deviendra plus tard ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris. Laurent Gbagbo émerge alors comme celui qui ose résister à Houphouët-Boigny, l’inamovible père de l’indépendance ivoirienne. En 1982, il fonde dans la clandestinité, dans une bananeraie de Dabou, à une trentaine de kilomètres de l'agglomération abidjanaise, le Front populaire ivoirien (FPI), juste avant son départ en exil en France, via la Haute-Volta, futur Burkina Faso.
Pendant six ans, il mène une vie spartiate, hébergé à plusieurs reprises par son ami Guy Labertit, qui sera plus tard le « monsieur Afrique » du Parti socialiste français. A cette époque, avoir sur son territoire l’opposant au « meilleur ami de la France » n’arrange ni le président socialiste François Mitterrand, ni le leader de la droite et, à l'époque, maire de Paris Jacques Chirac. D'autant que devenu Premier ministre en 1986, ce dernier fait revenir Jacques Foccart, célèbre conseiller aux affaires africaines du général de Gaulle et proche d’Houphouët-Boigny.
Le « vieux » tente à plusieurs reprises de gagner à sa cause le bouillant opposant. En 1986, le quotidien Libération, révèle ainsi comment un commissaire de police français fait part à Laurent Gbagbo d’une proposition de rentrer en Côte d’Ivoire sans représailles en échange de son ralliement. Ce qu’il refuse. Il profite, par ailleurs, de ces années en France pour écrire, notamment Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique (L’Harmattan, 1983).
Le 13 septembre 1988, il rentre tout de même en Côte d’Ivoire, mais refuse la traditionnelle cérémonie de pardon télévisée, à laquelle se sont soumis d’autres opposants à leur arrivée. Et il entend bien continuer à combattre le parti unique.
L’année 1990 est décisive pour Laurent Gbagbo. Un grand nombre de pays africains sont secoués par une vague de revendications démocratiques. La Côte d’Ivoire n’y échappe pas. L’agitation sociale bat son plein. L’opposant réclame plus que jamais la fin du parti unique. Félix Houphouët-Boigny fait d’abord la sourde oreille, qualifiant cette demande de« vue de l’esprit ». Mais le 30 avril, il finit par accepter l’instauration du multipartisme. Le 16 septembre, une fois son parti légalisé, Laurent Gbagbo annonce qu’il sera candidat contre Félix Houphouët-Boigny à la présidentielle du 28 octobre. A l’époque, la démarche ressemble à un défi, tant l’idée de tenir tête au « vieux » semble incroyable pour de nombreux Ivoiriens. Le leader du FPI n’obtient que 18,3% des suffrages.
Mais sa réputation d’opposant irréductible est faite, ce qui lui vaudra une grande popularité dans la jeunesse. Il obtient, par la suite, une tribune de choix en étant élu député, avec huit autres membres de son parti. Pour autant, le discours ne s’adoucit pas. Mais Laurent Gbagbo a face à lui un nouvel interlocuteur, un certain Alassane Dramane Ouattara. Ce technocrate de 48 ans, gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), a été nommé Premier ministre - le premier depuis l’indépendance - le 7 novembre 1990.
Laurent Gbagbo arrêté
Tout les sépare. Alassane Ouattara est un libéral, formé aux Etats-Unis, chantre des réformes du Fonds monétaire international (FMI), dont il est issu, et il est de surcroît choyé par Houphouët-Boigny. Laurent Gbagbo est un enseignant, baigné depuis des années dans le militantisme syndical, social-démocrate certes, mais hostile aux privatisations, et, bien sûr, adversaire résolu du « père de l’indépendance ». Les relations avec Alassane Ouattara sont houleuses. Le 18 février 1992, une manifestation, à l’appel du FPI et d'autres organisations, dégénère. Laurent Gbagbo est arrêté et condamné à deux ans de prison avec d’autres personnes, dont son épouse Simone, en vertu d’une nouvelle loi « anti-casseurs », élaborée par le gouvernement d’Alassane Ouattara. Ils sont finalement libérés au mois d’août suivant.
Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny meurt. Le contexte politique va, pendant un temps, rapprocher Gbagbo et Ouattara. Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, a succédé au père de l’indépendance. Alassane Ouattara est désormais l’ennemi numéro 1 du nouveau chef de l’Etat et le leader du FPI le soutient lorsque, fin 1994, un code électoral est voté dont une disposition permet d'écarter l’ancien Premier ministre de la présidentielle de 1995.
Laurent Gbagbo noue, d'autre part, une alliance - le Front républicain - avec son vieil ami Djeni Kobena, qui a fondé le Rassemblement des Républicains (RDR). Né d’une scission au sein du PDCI, l’ex-parti unique, Alassane Ouattara en deviendra plus tard le président. Celui-ci renonce finalement à être candidat et Laurent Gbagbo décide, pour sa part, de boycotter la présidentielle d’octobre 1995 qu’Henri Konan Bédié, privé de véritable adversaire, remporte avec 96,44% des voix...
Portrait: Laurent Gbagbo, une histoire ivoirienne