Surexploitée et fragilisée, la forêt ivoirienne est menacée de disparition

  • 20/10/2016
  • Source : MAP
Patrimoine riche et des plus importants, la forêt ivoirienne ne cesse, au fil des années, de subir les agressions les plus lourdes de l’homme, en raison d’une exploitation outrancière, aggravée par les aléas climatiques, ce qui met en péril son existence et sa pérennité.

Une problématique écologique réelle et inquiétante que la Côte d’Ivoire tentera, certainement, d’aborder lors de la 22è Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (COP 22), prévue en novembre à Marrakech, dans l’espoir d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la gravité d’un tel phénomène, de tirer profit des expériences réussies, et d’explorer les différentes solutions possibles.


En effet, ce désastre environnemental prend de l’ampleur et inquiète de plus en plus. Les chiffres officiels sont parlants : la superficie des forêts ivoiriennes est passée de 16,5 millions hectares à l’indépendance en 1960, à moins de 2,8 millions hectares aujourd’hui. Pire, selon les estimations des experts, le poumon vert de la Côte d’Ivoire risque de disparaître d’ici 2040, si des mesures urgentes ne sont pas prises.


En d’autres termes, la forêt qui s’étendait sur 78 pc de la superficie totale du pays, ne représente aujourd’hui que 13 pc du territoire. Des chiffres alarmants qui illustrent, selon les spécialistes, les risques majeurs de déséquilibre écologique et de dégradation de la faune et la flore en Côte d’Ivoire.


Pour les spécialistes, une grande partie de la superficie forestière a été détruite à cause d’une agriculture extensive (plantations agro-industrielles) qui favorise la production de masse en vue de couvrir la demande interne toujours grandissante, ainsi que l’exportation, outre l’exploitation forestière de type minier.


Ainsi, des milliers d’hectares, des pans entiers de forêts sont incendiés volontairement chaque année pour la mise en place de nouvelles cultures (Cacao, hévéa, palmier à huile, igname et riz).
Autre danger majeur qui pèse sur la forêt ivoirienne, le braconnage et la chasse illicite et abusive, exercée souvent par les populations riveraines parfois même sur des espèces menacées d’extinction, et ce, malgré les efforts de contrôle et de sensibilisation menés par les autorités ivoiriennes.


Face à ce désastre programmé, les spécialistes s’interrogent aujourd’hui sur les moyens de parvenir à concilier entre la priorité donnée au développement agricole et l’impératif de la préservation des forêts ivoiriennes menacées de disparition.


La question est d’autant plus lancinante, sachant que l’agriculture emploie les deux tiers de la population active, le pays est leader mondial de la production de cacao, et la diversification et la modernisation de l’agriculture constituent l’un des quatre volets du Plan National de Développement qui vise à faire de la Côte d’Ivoire un nouveau pays industrialisé d’ici à 2020.


Le développement agricole en Côte d’Ivoire reste plus que jamais consommateur de forêts. Et même les forêts des parcs nationaux n’ont pas été épargnées comme à Marahoué qui a perdu 80 pc de sa superficie transformée en terre arable, selon les chiffres officiels.


Cette situation est également la conséquence d’une urbanisation galopante et de l’extension des villes ivoiriennes, souvent au détriment des espaces forestiers.
Dans son constat, la Société Ivoirienne de Développement des Plantations Forestières (SODEFOR) note que l’agriculture est, certes, à l’origine en grande partie de ce désastre forestier mais elle n’est pas la seule cause, citant aussi l’exploitation abusive du bois (charbon et extrait d’essences précieuses), cause de disparition annuelle de 200.000 à 300.000 hectares de forêts.


Des écologistes déplorent, à ce propos, le fait que de nombreuses forêts classées sont menacées de disparition comme le Parc National du Mont Peko, ou de la Maraoué, au moment où, le gouvernement ivoirien ne cesse de tirer la sonnette d’alarme et de mobiliser tous les moyens possibles pour stopper cette hémorragie notamment, à travers le renforcement des contrôles, la promotion de l’éducation environnementale et la sensibilisation des populations.


Ils relèvent que la destruction des forêts appauvrit les sols et provoque la désertification ou encore un ruissellement des eaux de pluies, notant que si les agressions des forêts continuent à ce rythme, il n’y aura plus de forêts en 2040 en Côte d’Ivoire.


Conscient des dangers de la disparition de son patrimoine forestier, la Côte d’Ivoire semble aujourd’hui déterminée, plus que jamais, à réduire les dégâts pour préserver l’environnement et ce, à travers des stratégies concertées portant, entre autres, sur le reboisement, la lutte contre les feux de brousses ou encore la promotion de l’éco- tourisme.


Sur le plan législatif, le pays s’est doté en 2014 d’un nouveau code forestier qui crée un cadre de ‘’gestion durable’’ de la forêt ivoirienne et introduit des innovations en matière de conservation de reconstruction du couvert végétal avec une ‘’plus grande implication des populations’’.


Autre mesure majeure et salutaire, la création en 1966 de la SODEFOR qui gère les forêts classées en Côte d’Ivoire, et qui est chargée de concevoir un plan d’aménagement forestier et assurer sa mise en œuvre, ou encore l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR) mis en place en 2002, avec pour objectif de préserver et valoriser un échantillon représentatif de la diversité biologique nationale, et maintenir les processus écologiques dans les aires protégées de façon durable.


En vue d’adopter une planification et une stratégie de gestion durable pour les 40 années à venir, du secteur forestier, faunique et des ressources en eau, le gouvernement ivoirien a également lancé, en février 2015, le Forum des États Généraux de la Forêt, de la Faune et des ressources en Eau de Côte d’Ivoire.


Aussi importants soient-ils, ces efforts ne peuvent aboutir sans l’implication réelle et effective des populations locales qui ont un rôle important à jouer dans la mesure où, leurs attitudes conditionnent le succès ou l’échec de tout programme de développement et de préservation des forêts.


Pour des observateurs, la radioscopie des différents facteurs de dégradation du couvert forestier ivoirien, incite à l’adoption d’une politique forestière transversale et durable car, la disparition de la forêt entraîne celle de la faune et des ressources en eau.


Il s’agit aussi de procéder à l’actualisation des textes législatifs et réglementaires régissant le patrimoine forestier, estiment-ils, insistant également sur l’urgence, entre autres, de renforcer les moyens humains et matériels, développer des mécanismes de financement durable, circonscrire les infiltrations pour maintenir les forêts existantes et améliorer la politique de reboisement.


Certes, la Côte d’Ivoire a pris des engagements à l’échelle internationale (Accord de Paris sur le Climat à titre d’exemple) pour la préservation de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques, et ne cesse de déployer un effort colossal au plan interne, mais le rôle des populations demeure de taille d’où l’impératif d’investir dans l’éducation environnementale et la sensibilisation quant à la nécessité de changer de comportement et de mentalité pour préserver ce patrimoine vert pour les générations montantes.
 

(Par Samir LOTFY, Correspondant de la MAP à Abidjan)-.