- SEXUALITE
Comment naît le désir sexuel ?
- Source : psychologies.com
Comment percevons-nous le corps de l'autre pendant l'amour ? Qu'est-ce qui nous émeut ou, au contraire, nous bloque ? De quoi est fait le désir physique chez les hommes et chez les femmes ? Confidences intimes et explications en sept questions-réponses.
« Ce qui me mène à coup sûr à la jouissance, c'est une peau agréable à la langue, que j'ai du plaisir à lécher, raconte Louis, 41 ans. J'aime cette communion par la salive, la sueur, les muqueuses... C'est pour cela que je déteste les peaux bronzées aux UV : cette horrible couleur orangée rend la peau acide et sèche, comme si elle était craquelée ! »
« Moi, dit Jean, 32 ans, ce que j'aime, ce sont les pieds : sucer les orteils, caresser le coude de pied... Je ne vois rien de supérieur à un pied parfaitement cambré. Et si la femme est réceptive à cette caresse, alors je suis sûr de grimper aux rideaux ! Un jour, je devais avoir 10 ans, je m'étais caché sous la table. Je regardais les jambes d'une femme quand sa chaussure a glissé... Ça m'a déclenché une érection. Depuis, les pieds des femmes m'ont toujours très fortement troublé. »
Comment les hommes perçoivent-ils le corps féminin ?
« L'homme fétichise le corps de la femme, explique Philippe Brenot, psychiatre, anthropologue et directeur d'enseignement en sexologie à l'université Bordeaux-II. Il le voit comme un objet morcelé, constitué d'éléments séparés les uns des autres - les seins, les fesses, les jambes, le sexe - dont certains alimentent plus fortement ses fantasmes. »
Une courbe particulière du corps, un ovale, un mouvement, voilà ce que les hommes remarquent au premier regard. « Un homme réagit à une pulsion très sexuelle, liée à ses expériences enfantines, analyse Marie-Laure Colonna, psychanalyste jungienne. Entre la naissance et 5 ans, le cerveau de l'enfant enregistre, à partir du vécu, une sorte de carte sensorielle qui orientera ses futurs choix sexuels. C'est pourquoi on peut dire qu'un homme se passionne pour une femme à partir d'une image.
Et les femmes, que disent-elles du corps de l'amant ?
« Moi, raconte Jeanne, ce que j'aime, c'est débusquer les petits coins qui échappent à la maîtrise de mon mari, ces endroits qui ne sont pas apprêtés parce qu'il les oublie : le derrière de l'oreille, la pomme d'Adam, une zone un peu fripée à la jointure de la poitrine et de l'épaule qui marque un vieillissement dont lui-même n'a pas encore conscience. Ces endroits me plaisent parce qu'il n'y a que moi qui les vois et, alors, j' ai l'impression que mon mari m'appartient encore plus fortement ! »
Eléonore, elle, avoue qu'à la seconde où elle a aperçu cet inconnu qui allait devenir son compagnon, c'est dans sa rondeur qu'elle a eu envie de se réfugier : « Ce que j'aime, c'est ce corps qui pèse sur le mien. Rien n'est plus érotique pour moi que cette chair que j'entoure de mes bras, ce ventre contre lequel je me love, ces cuisses robustes contre lesquelles je frotte mes joues, tout ce grand corps que je pétris de mes doigts comme une pâte. » L'une débusque, l'autre malaxe... Les femmes semblent bien appréhender le corps de l'autre comme un tout et non une succession de parties.
Que nous fait ressentir le corps de l'autre pendant l'amour ?
« Il suffit que je lui caresse la petite courbe qu'il a juste au-dessus des fesses pour me sentir immédiatement excité, raconte David. C'est un peu étrange parce que ce n'est pas une zone qui m'attire particulièrement, mais chez Denis, c'est électrique.
Et il sait que si je m'attarde à cet endroit je vais avoir très envie de lui... » Si David et Denis connaissent une telle osmose sensorielle, c'est qu'ils possèdent le même corps d'homme. Mais chez les hétérosexuels, il existe peu de témoignages sur le corps de l'aimé durant l'acte sexuel. Peut-être parce que nous restons désespérément accrochés à cet idéal qui suppose que l'autre ressent exactement comme nous.
« C'est faux, affirme Philippe Brenot. Comme l'a résumé Lacan en une de ces formules dont il avait le secret : "Il n'y a pas de rapports sexuels..." Ce qui revient à dire que, durant l'acte amoureux, le ressenti de l'homme et celui de la femme sont absolument différents. » Alors, comment capter ce ressenti ? Peut-être en prenant le problème à l'envers et en observant ce qui peut dégoûter.
Arlette raconte : « Cet homme m'avait tout de suite attirée, j'adorais sa façon de parler. Au bout de quelques jours, nous avons fait l' amour. Tandis que l'excitation montait, sa peau s'est mise à suer en dégageant une odeur où se mêlaient des senteurs de lait et de vin écoeurantes. C'était comme si je serrais dans mes bras à la fois un gros bébé et un alcoolique.
Pourtant, sa séduction a continué à opérer. Je me demande encore d'où lui venait ce pouvoir de me plaire malgré ce désagrément si fort. » Sans doute parce que souvent les femmes tombent d' abord amoureuses d'une parole, d'une personnalité, et qu'elles s'accommodent ensuite du physique de l'individu d'où le charme a émané.
On pourrait opposer à ce témoignage le commentaire de Don Juan, qui lançait à propos d'une femme qu'il ne désirait pas : « Sa peau ne me dit rien. »
Quand les hommes voient des femmes, les femmes ne voient qu'un homme...
Les hommes interrogés répondent spontanément au pluriel : « Ce que j'aime chez les femmes... » Tandis que les femmes parlent du corps de « leur mari » ou de « leur amant », adoptant le singulier. « Rien d'étonnant à cela, confirme Marie-Laure Colonna. Si chaque homme a dans la tête plusieurs silhouettes féminines types, la femme, elle, fantasme peu sur les parties du corps de l' homme en général. Elle se focalise sur celui qu'elle aime et qui est comme illuminé dans sa globalité. »
L'enquête de Philippe Brenot sur la correspondance amoureuse le confirme : l' homme évoque constamment le corps de la femme, tandis qu'elle ne mentionne jamais celui de l'homme mais son corps à elle dans ce qu'elle sait être objet de désir pour son amant. « Juliette Drouet a écrit dix-huit mille lettres à Victor Hugo sans jamais faire mention du corps de l' écrivain : était-il petit, grand, rond ou mince, de quelle couleur étaient ses yeux, aucun indice ne permet de le deviner ! »
Pourquoi un corps aimé avec passion peut finir par laisser indifférent ou, pire, répugner ?
C'est ce qui est arrivé à Maryvonne. Après deux ans de passion physique intense, elle décide de s'installer avec Philippe. Un mois plus tard, son désir s'est évanoui. Ce qui la bloque ? La lourde respiration de Philippe quand ils font l'amour : « Alors que je n'y avais jamais prêté attention, elle m'évoquait le souffle haletant d'un cousin qui s'était masturbé sur moi lorsque j'étais petite. Impossible de retrouver l'élan qui jusque-là m'avait guidée. »
Comment expliquer cette soudaine répulsion ? « Par l'enthousiasme qu'elle provoque, la phase passionnelle crée un état hypnotique qui occulte les traumatismes ancrés dans le corps, comme ceux relevant d'expériences sexuelles subies dans l'enfance,répond Philippe Brenot. Mais ces traumatismes peuvent réapparaître dès que l'intensité baisse. La femme a alors l'impression qu'elle n'a plus le même homme face à elle et, parfois, c'est irrémédiable. »
Le simple attrait physique peut-il mener à l'amour ?
Il arrive que des histoires qui commencent par un surinvestissement sexuel ouvrent, par la suite, d'autres portes. « Quand je suis sortie avec cet homme, j'avais honte,raconte Noémie, 25 ans. Il représentait tout ce que je déteste. Il n'était pas très beau, faisait des blagues lourdes. Pourtant, dès que nous avons fait l'amour, il y a eu un déclic. J'étais envoûtée par sa peau un peu molle, j'adorais m'enfouir dans sa chair, d'où je ressortais groggy.
Avec lui, j'ai découvert que je pouvais avoir plusieurs orgasmes de suite. Malgré tout, je l'ai quitté parce que je ne l' aimais pas. Mais le manque était trop grand, et je me suis dit qu'il était idiot de passer à côté d'une telle entente physique. Peu à peu, je l'ai mêlé à ma vie, lui à la sienne. Nous vivons ensemble depuis six mois. »
« Cupidon fait flèche de tout bois, commente le psychanalyste Yves Prigent, et même quand une relation commence par une exacerbation de la sexualité, le feu peut ensuite gagner les autres niveaux. Cela dépend de l'intensité des angoisses que suscite pour les protagonistes l'idée d'être amoureux. »
Le désir de l'autre nous rend-il beau ?
« Je n'aimais pas mes jambes que je trouvais lourdes et mal dessinées, raconte Juliette, 23 ans. Je les cachais toujours sous des pantalons. Quand je faisais l'amour, je prétextais que j'étais frileuse pour pouvoir me dissimuler sous la couette jusqu'à la taille. Un jour, un homme, avec lequel je n'ai eu qu'une aventure, les a embrassées avec passion en les comparant à des colonnes de marbre. Je n'ai jamais oublié ses paroles et je suis, depuis, beaucoup moins obsédée par l'idée de les cacher. Je ne les adore pas, mais je sais qu'on peut les aimer. »
Le désir d'un être aurait-il le pouvoir de transformer la vision que l'on a de son propre corps ? « Le regard que porte un individu sur la personne qu'il désire révèle à celle-ci quelque chose sur elle-même qu'elle ignorait, explique France Schott-Billmann, danse-thérapeute et auteure du Besoin de danser (Odile Jacob). Quand on a envie de quelqu'un, on perçoit en lui une beauté invisible, un mystère qui, jusque-là, ne lui était pas accessible. C'est un regard libérateur qui apporte un supplément de vie. »Même écho chez la psychanalyste Catherine Bensaid : « Le désir fait que l'on voit en l' autre ce qu'il a de mieux. C'est pour cela que nous avons tous la possibilité d'être beau pour quelqu'un. »
Comme Eric et Luce, mariés depuis vingt-cinq ans et imperméables à la lassitude. « Je suis toujours aussi troublé quand elle envoie ses bras en arrière, que je vois ses côtes saillir et que son léger strabisme s'accentue sous l'effet de la jouissance qui arrive, dit Eric. Je crois que je voudrais mourir en contemplant cette image. » De son côté, Luce explique combien sa passion pour le corps d'Eric, malgré les années qui passent, l'aide à accepter son corps vieillissant : « L' amour transfigure toutes les imperfections. Les deux rondeurs qu'Eric a maintenant de chaque côté des hanches, si elles disparaissaient, elles me manqueraient ! »
La passion amoureuse serait-elle le meilleur antidote au temps qui passe ? Victoria, 68 ans, en est sûre : « Il y a trois ans - j'étais déjà veuve -, j'ai retrouvé un homme que j'avais aimé à 17 ans. Dès que nous nous sommes vus, nous avons compris que du désir demeurait entre nous. Mais je ne me laissais pas convaincre d'avoir une relation physique : je me sentais trop peu sûre de mon corps vieillissant. Jusqu'à ce qu'il me dise : "C'est ton corps qui a vieilli, pas toi." »
Attention à ne pas tout dire
Emportés par le désir, les corps sont sublimés, les imperfections se dissolvent sous les mains aimantes dans la recherche du seul plaisir. Mais cet état de grâce semble difficile à atteindre lorsque le rejet de notre corps ou de certaines de ses parties est trop intense. « Surtout dans une société comme la nôtre qui met un tel accent sur l'apparence au détriment d'autres qualités, insiste la psychanalyste Catherine Bensaid. Quand le doute sur sa propre personne est trop profondément ancré, qu'il remonte à des fragilités nées dans l'enfance, il faut probablement envisager une aide thérapeutique pour pouvoir enfin s'accepter tel que l'on est. »
Dans une relation solide, l'aveu de ses doutes est largement facilité par la confiance que s'accordent les partenaires. Il vient même renforcer cette confiance.
En revanche, dans une histoire qui débute ou qui présente des failles, mieux vaut prendre quelques précautions. Grande est parfois la tentation de confier à l'autre nos complexes corporels pour s'assurer de l' indulgence d'un regard que l'on redoute. Un aveu s'avère positif lorsque l'on n'est pas totalement démuni de confiance en soi, mais il sera dangereux dans le cas contraire. On prend alors le risque de tomber sur un partenaire sexuel qui peut utiliser cette faille pour asseoir son pouvoir et démolir le peu d'assurance que l'on avait.
Sans compter que « mettre l'accent sur un détail que l'on n'aime pas est difficile à gérer pour un homme amoureux, explique Catherine Bensaid. Car alors il quitte ce regard de chasseur qu'il a parfois lorsqu'il morcelle le corps de la femme en objets partiels : seins, jambes, fesses, bouche, etc. Il voit dans la femme qu'il désire un sujet, un être dans sa globalité. » Avec ses qualités, mais aussi ses défauts.
Comment naît le désir sexuel ? - Photo à titre d'illustration