La triste évolution des mentalités

  • Source : lasenegalaise.com


Nos grands-parents ont été formés par une éducation autoritaire : travailler dur, ne pas gaspiller la nourriture, prendre soin de sa tenue vestimentaire.

La période des années 1960 et notamment 1968 atteint de plein fouet toutes les valeurs. Avec la contestation de la légitimité politique de la bourgeoisie et du capitalisme, apparaît aussi la contestation de la morale disciplinaire qui avait été celle du siècle précédent. La génération hippie va renouer avec les cultures chamaniques et populariser l’usage des drogues. Dans le même temps, la prise de conscience des dégâts engendrés sur l’environnement par la techno-science devient patente. L’écologie naît dans cette période et elle offre de mieux comprendre la pertinence de l’équilibre des modes de vie traditionnels.

La ferveur idéaliste et révolutionnaire des années 1960 va connaître son crépuscule, se retourner et se muer dans le conformisme des années 1990. Désormais, on ne veut plus changer le monde. On veut en profiter. On veut profiter de tout ce que la société apporte, se pâmer devant la publicité, consommer ses produits, profiter de tous ses avantages, tout ce que le marketing sait si bien nous vendre. A la contre-culture des années 60, les années 90 opposent un « bof » désabusé. Ce qui est intéressant c’est d’être cool et de faire bien (c’est vrai qu’il est beau le portrait de Che Guevara sur le T-shirt), mais de là à s’engager ! Du moment qu’on s’amuse, le reste, on n’en a rien à cirer. S’engager ? Pourquoi ? A quoi bon ? Ça ne sert à rien.

On veut que la vie soit comme dans les clips vidéo, avec des jolies filles et des types qui dansent tout le temps et en tout lieu, avec de la musique dans une gaîté perpétuelle : il faut que « ça bouge ». La vie, c’est bouger. Quand au reste, tout ces discours sur le projet, le sérieux, l’engagement, c’est d’un ennui ! Un truc de vieux ! L’industrie du loisir et la consommation, a crée un monde de divertissement. Alors, pourquoi voulez-vous rejeter la pub? Dans le monde de la consommation, n’ayons aucun complexe ! Nous Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana, détestait les livres. Il s’éclatait avec la musique. No future. Bob Marley lui s’éclatait avec de l’herbe. Nous aussi on veut s’éclater. On aime la pub et les marques. Rien que pour la frime. On adore afficher les logos. On adore faire les boutiques de mode.

S’éclater (exploser, disparaître, être pulvérisé), se di-vertir (sortir de soi, fuir : tout le contraire de s’in-vestir), rechercher frénétiquement l’extase du plaisir, (l’orgasme est la plus haute et la seule valeur), se défoncer (l’usage banalisé du vocabulaire de la drogue : même les supermarchés parlent de défonce du consommateur !) et ce nom Nirvana emprunté au bouddhisme, repris dans sa négativité (l’extinction pour rejoindre au plus vite le néant ?). Il y a là une représentation caractéristique de la mentalité de notre époque et dont la teneur est très différente de celle de la génération précédente. On veut tout et tout de suite. Quand la profusion des plaisirs est sous nos yeux, quand le monde devient un parc d’attractions et que la seule règle qui s’impose est le diktat du désir immédiat, il n’y a plus à penser. Il suffit de suivre les suggestions, la télécommande à la main dans la vie, comme devant la télévision.

Une époque qui entretient le culte de l’adolescence. Pour exister, il faut pouvoir s’afficher « jeune ». Dans le Disneyland social des pays soi-disant « développés », le plaisir, c’est toujours mon plaisir à moi. Il est le parachèvement de l’individualisme triomphant. Regardez-moi, parlez-moi de moi, flattez-moi, il n’y a que moi qui m’intéresse. De là l’empire souverain de l’apparence, le règne sans partage de l’image, l’exhibitionnisme de

Cela ne choque personne. Les temps changent. De toute manière, les visées universelles se sont retirées. Si on se joint à un groupe, c’est seulement avec le désir de se retrouver « avec des êtres partageant les mêmes préoccupations immédiates et circonscrites. Narcissisme collectif : on se rassemble parce qu’on est semblable », ce qui veut dire sensibilisés aux mêmes plaisirs, aux mêmes désirs individuels. C’est tout.

« S’exprimer » veut dire se faire valoir dans sa différence pour la différence, même si on a rien à dire et surtout si on n’a rien à dire. Chacun est incité à téléphoner au standard des radios, chacun veut dire quelque chose à partir de son expérience intime, chacun peut devenir un speaker et être entendu. Mais il en va ici comme pour les graffiti sur les murs de l’école ou dans les innombrables groupes artistiques : « plus ça exprime, plus il n’y a rien à dire ». L’ironie c’est que « personne au fond n’est intéressé par cette profusion d’expression, à une exception non négligeable il est vrai : l’émetteur ou le créateur lui-même. L’important c’est de passer à la télé ! De parler à la radio ! De pouvoir montrer l’enregistrement vidéo dans lequel « on me voit ! ».

Même quand on est dans le public, on le dit à tout le monde. « Vous m’avez vu juste derrière l’animateur ? ». Flatterie suprême de l’amour-propre, « moi » passant à la télé ! Seul l’émetteur du message est intéressé par l’expression et intéressé seulement par lui-même. La télévision c’est la représentation irréelle et fantasmée de la Vie. Le téléspectateur passe sa vie à regarder la vie des autres et tout naturellement la vie devient pour lui une représentation, celle de la célébrité. Alors, bien sûr, la tentation suprême de l’ego, c’est de passer de l’autre côté de l’écran, de commencer à exister parce qu’on l’a vu à la télévision ! Quand je serai moi-même une image que tout le monde pourra voir. Aussi plat qu’une image. Vide.

Le système fonctionne très bien et surtout, il permet de vendre tout et n’importe quoi. L’homme ne sait pas pourquoi il consomme, mais il consomme beaucoup. Il consomme plutôt n’importe quoi et n’importe comment, et surtout pour la frime. Il a fait du supermarché un « lieu de vie », le lieu de la promenade du dimanche, comme ses ancêtres allait à la campagne pour marcher le long de la rivière, il va en famille faire les courses chez Carrefour. L’homme adore les magasins le luxe et les magasins haut de gamme. Ils consomment à n’en plus finir des services et surtout des loisirs : attractions, restaurants, vacances, sports. Le loisir est son dernier idéal, son vrai Dieu pour qui il dépensera sans compter. Il dépense aussi souvent de manière purement compulsive, par effet de compensation. Auquel cas, il ne se dirige jamais vers ce qui est utile et bon marché, non, il va vers ce qui est à la mode.

Parce que c’est à la mode, parce que cela permet de se faire-voir et d’en imposer devant autrui. Sur les chaussures ce qui compte, c’est le logo d’une marque. Pour le t-shirt, la qualité n’est pas importante, ce qui compte, c’est le crocodile (bien qu’avec mon crocodile je sois certainement d’aijà de l’ancienne génération). La griffe d’une marque. Dans ces conditions, l’homme est extrêmement influençable. C’est un pigeon facile à attraper, tellement facile à manipuler ! Ne serait-ce qu’en lui ouvrant un nouveau-crédit-trois-fois-sans-frais. Il va craquer. La publicité est là pour le faire craquer. Et le comble, c’est qu’il n’a aucune distance critique, en plus il adore la publicité ! Il n’a d’ailleurs souvent rien d’autre dans la tête que des clips publicitaires. Dans une société qui aurait une solide charpente morale, on aurait pitié, et on n’abuserait pas de la crédulité, de la faiblesse et de la naïveté. Mais qui vous dit que cette société est morale ? C’est le contraire.