Sur les vidéos, on le voit jetant le plus haut et le plus loin possible un petit chat blanc et roux, baptisé Oscar, qui retombe lourdement sur le sol en béton. Farid Ghilas, qui se faisait surnommer « Farid de la Morlette » sur Facebook, a été condamné à un an de prison ferme, lundi 3 février, par le tribunal correctionnel de Marseille pour « actes de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ».
Les juges ont suivi les réquisitions du procureur, qui a estimé que Farid Ghilas a fait preuve d'une « absence de toute barrière morale et d'un sadisme froid ». Et d'ajouter : « Les animaux ne sont pas de vulgaires objets » mais des « êtres vivants dotés de sensibilité. »
« Cette condamnation est exemplaire », estime Jean-Marc Neumann, juriste et vice-président de la Fondation Droit animal, éthique et sciences, qui dit toutefois craindre qu'elle reste « un cas isolé et exceptionnel » dû à la forte mobilisation des internautes.
Que pensez-vous de la condamnation de Farid Ghilas, filmé en train de lancer un chat contre un mur ?
Jean-Marc Neumann : Cette décision du tribunal de Marseille est exemplaire. Elle tranche avec les précédentes décisions en matière de maltraitance animale, bien plus légères. Le code pénal sanctionne gravement les actes de cruauté ou les sévices à l'encontre des animaux. L'article 521-1 condamne ainsi de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende « le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ».
Mais jusqu'à présent, les juges ont toujours été cléments, n'appliquant jamais le code pénal dans toute sa rigueur : ils se sont toujours contentés d'amendes peu élevées (de l'ordre de 500 ou 1 000 euros) et jamais de prison ferme (le plus souvent quelques mois de sursis). Nombre d'affaires sont également classées sans suite ou se soldent par des non-lieux. Enfin, en cas « d'atteinte volontaire à la vie d'un animal », l'auteur n'est sanctionné que par une simple contravention, qui peut atteindre au maximum 1 500 euros, selon l'article R655-1. Au final, l'animal n'a pas encore trouvé la place qu'il mérite dans le droit en France.
La condamnation de Farid Ghilas, bien plus forte, est sans doute due à la forte mobilisation des internautes sur Facebook et Twitter, ainsi qu'à la pétition réclamant une « condamnation exemplaire » du jeune homme qui a rassemblé 258 000 signatures. Farid Ghilas peut toutefois encore faire appel. Il est alors possible que sa condamnation soit plus mesurée lorsque la pression sera retombée. Je crains que cette condamnation reste un cas isolé et exceptionnel, à moins d'une mobilisation systématique des internautes pour chaque cas de maltraitance.
Comment expliquer la clémence des juges en matière de droit animal ?
Il s'agit d'abord d'un problème de formation : les juges ne reçoivent pas d'enseignement spécifique, à l'école de la magistrature, sur le régime applicable à l'animal. Ils ne sont donc pas formés de manière à correctement examiner les cas de cruauté animale.
Ensuite, la justice est totalement débordée. Sauf quelques cas particuliers, les animaux sont à la fin de la pile des dossiers en attente.
Enfin, il y a un problème de sensibilité et de mentalité, tant des autorités que de la population. Dans le cas du chat Oscar, la police ne s'est ainsi saisie du dossier qu'après avoir été plusieurs fois interpellée par des habitants du voisinage. Et si la mobilisation des internautes a été forte cette fois-ci, la compassion à l'égard des animaux n'est pas encore très développée en France en comparaison des pays nordiques ou de l'Allemagne. N'oublions pas qu'on est un pays qui aime des pratiques et traditions qui portent atteintes à la dignité de l'animal, comme la corrida ou le foie gras.
Faut-il alors changer le code civil et le statut de l'animal en France ?
Le code civil, par son article 528, considère les animaux comme des biens, meubles ou immeubles. L'animal est donc cessible : on peut l'acheter, le vendre, le consommer ou l'exploiter. Modifier le code civil permettrait d'améliorer le statut de l'animal d'un point de vue symbolique : on le reconnaîtrait comme un être sensible, ce qui pourrait permettre à la société d'être davantage consciente de ses particularités.
Mais sans lui appliquer des règles spécifiques, et des droits propres, l'animal resterait dans le fond une chose, que l'on peut vendre et acheter. Son statut ne peut évoluer dans les faits que par un changement de société et de mentalité : par exemple, en refusant de manger des animaux ou de les utiliser dans les sports et les loisirs. Seul ce changement de comportement peut induire un réel changement au niveau de la réglementation.
Chaton torturé : « Une condamnation exemplaire » - Photo à titre d'illustration