Haider Rivzi est américain d'origine pakistanaise, correspondant à l'ONU depuis 93. Viré de son agence, désormais il dort dans son bureau. Portrait.
Même Albert Cohen dans Belle du Seigneur n'avait pas imaginé un tel personnage à la Société des Nations. Et pourtant : au siège à New York, tout le monde le connaît au moins de vue et sait qu'il compte parmi les plus anciens de l'institution. Il se nomme Haider Rivzi. Il est journaliste. Et il a fait de l'ONU sa maison.
Haider Rivzi est d'origine pakistanaise, un "Indian Pakistan", car, comme il le précise, il "refuse la partition de son pays". Aujourd'hui, à 51 ans, il est devenu américain, porte une belle moustache bien fournie et est accrédité comme journaliste aux Nations unies, à New York, depuis 1993. Il a travaillé pendant plus de 20 ans pour l'agence indépendante Inter Press Service (IPS) jusqu'à ce que, il y a trois mois, des frictions dans la hiérarchie du média, selon lui, son penchant pour l'alcool, selon de mauvaises langues, ne mettent fin à cette collaboration.
Depuis, en raison de difficultés financières, mais aussi parce qu'il se sent dans l'institution comme à la maison, Haider a élu domicile dans un bureau oublié, au fin fond d'un couloir, pour quelques nuits. Face à mon étonnement, il confirme la rumeur qui dit qu'il dort pour l'instant à l'ONU. Puis il m'explique aussitôt que ce n'est pas le première fois. En 2005, il a déjà bivouaqué dans l'institution alors qu'il traversait une période de vaches maigres. Il a déjà dormi ici pendant trois mois ! Pour se laver ? C'est très simple : il s'agit de se faufiler dans les toilettes, après le nettoyage et avant que fonctionnaires et journalistes n'arrivent, et de se débarbouiller à l'aide d'un gant.
À l'ONU, "il n'y a plus d'âme"
Le plus étonnant est bien qu'un tel comportement soit toléré. Mais à personnalité hors norme, statut hors norme. La qualité exceptionnelle de son travail, son humour et son esprit ont valu à notre Haider le respect voire l'amitié de beaucoup de journalistes et de diplomates, mais aussi le soutien de certaines huiles, qui le tolèrent dans les murs de l'institution, malgré ses pratiques contraires au règlement. Haider avait ainsi pris l'habitude de fumer dans son bureau privatif (privilège des correspondants permanents pouvant justifier d'un minimum d'ancienneté). Il a été condamné à travailler dans la salle commune des journalistes, principalement des jeunes femmes.
Notre Haider ne s'est pas laissé abattre par cette sanction imposée par la chef des accréditations, "arrivée après lui dans l'institution" qui plus est ! Il s'insurge : "C'est simplement que j'avais besoin de fumer pour me concentrer." Le nouveau bureau qu'il s'est aménagé dans un coin, au fond de l'open space, est un cocon douillet, où il a pris soin d'ajouter sa "touche personnelle". On y trouve son ordinateur allumé en permanence, et, épinglés aux murs, de grands tirages de photos le mettant en scène, à une époque qu'il considère comme glorieuse, celle de Kofi Annan, "quand l'ONU était encore une maison chaleureuse, et non une corporation à l'américaine". On le voit souriant, mondain, pendant un cocktail à l'ONU, entouré d'amis diplomates. "Depuis que Ban Ki-moon est arrivé", renchérit-il, le nombre de caméras dans l'ONU a dû au moins tripler. Il n'y a plus d'âme."
"Je cherche la beauté"
Profondément attristé par ces considérations, son regard balaie le sol, puis s'éclaire en s'avisant d'un gros sac rempli de morceaux de carton kraft : ses oeuvres. Les jeunes filles alentour se sont arrêtées de travailler, elles l'observent pour son plus grand plaisir. Sur chaque morceau de carton, égal ou légèrement inférieur au format A4, est dessiné un arbre, dénudé et un peu effrayant. Au fusain. Toujours un arbre. Pensif, grandiloquent, il commente : "Dans la vie, je ne cherche pas le bonheur, je ne cherche pas le succès, je cherche la beauté !" À ce mot, il s'arrête pour profiter du silence qui envahit la pièce et pour observer la réaction de son auditoire féminin, en entortillant sa moustache, à la manière de Dalí. Satisfait, il esquisse un sourire pour s'assombrir à nouveau. Il reprend, l'air grave : "Depuis quinze ans que j'essaie de changer le monde en écrivant sur les armes nucléaires, les mouvements antimondialistes et le changement climatique, j'ai dû me faire une raison : la beauté n'existe que dans la nature et dans l'art, certainement pas dans les actions de l'homme, aussi louables en soient les intentions !" Depuis plusieurs années maintenant, nous confiera-t-il, il ne serre plus de femmes dans ses bras, mais des arbres, seulement des arbres.
Haider ne se contente pas de dessiner des arbres. Il y a mêlé à son esbroufe un souci réel pour le désarmement, les droits des peuples indigènes, l'amélioration du sort des populations du tiers-monde. Il est particulièrement fier d'un papier récent, publié sur le site canadien Global Research, qui révèle que Washington effectue des tests de missiles le jour de la fête de la paix (le 21 septembre). Il n'est pas anodin que cet homme fantasque ait élu domicile aux Nations unies, dont la devise est "une ONU plus forte pour un monde meilleur". Et surtout que l'institution ait fermé les yeux...
Le journaliste qui dort à l'ONU - Photo à titre d'illustration