Un "cercueil volant" devient une arme de lynchage en Côte d’Ivoire

  • 08/10/2014
  • Source : Observers.france24.com
Un cercueil porté par des habitants est devenu l’arme d’un lynchage macabre à Cosrou, dans le sud de la Côte d’Ivoire. Pour les habitants, lors de cette pratique mystique du "cercueil volant ", c’est la "volonté du défunt" qui s’exprime en désignant des personnes malveillantes. Mais en réalité, ces cérémonies sont l’occasion de règlements de comptes entre habitants.

ATTENTION, LES IMAGES CI-DESSOUS PEUVENT CHOQUER

"Des soupçons de sorcellerie pesaient sur ‘les victimes du cercueil’"

Notre Observateur Julien Appia Kouassi se trouvait dans le village de Cosrou quand a eu lieu l’enterrement d’Esmè, un Abidjanais décédé subitement mi-septembre. L’homme, qui se sentait fatigué depuis plusieurs semaines, avait effectué des tests dans une clinique d’Abidjan qui n’avaient rien révélé d’anormal selon sa famille.

Le 20 septembre dernier, après la messe organisée pour le défunt, les porteurs du cercueil, qui devaient se rendre au cimetière, se sont lancés dans une course poursuite à la stupéfaction des habitants et de notre Observateur.

C'est la première fois que j'assiste à une scène pareille. J’avais déjà entendu parler du rite du "cercueil volant" mais je ne l’avais jamais vécu. Les porteurs transpiraient, semblaient avoir du mal à respirer. Certains criaient même "Stop ! Stop !" mais aucun ne semblait capable de déposer le cercueil ou d’arrêter ce mouvement.



 Les porteurs se sont d’abord dirigés vers la maison du mort où ils ont fracassé les portes et la fenêtre. Selon la coutume, c’est le signe que le propriétaire des lieux, dans ce cas précis le frère du défunt, était responsable de sa mort. Ils l’ont alors pourchassé, mais ne lui ont finalement rien fait. Puis ils ont mis le cap vers une petite colline au milieu du village où ils ont réservé le même sort à une sexagénaire. C’était horrible, la vieille dame agonisait, appelait à l’aide dans la langue locale. Certains ont voulu lui venir en aide, mais les porteurs s’y sont opposés, expliquant qu’on réserverait le même sort à ceux qui interviendraient.


Une sexagénaire, accusée de sorcellerie, gît sous le cercueil. Photo Julien Appia.

Les porteurs affirment avoir été touchés par une "force surnaturelle venant du cercueil". Le hic c'est que des soupçons de sorcellerie pesaient sur les personnes tuées. A-t-on profité de cet enterrement pour les éliminer? En tout cas, autour du corps sans vie de la dame, c’était la liesse. Des gens dansaient, photographiaient, riaient de ce qu’ils disaient être le "fin du règne d’une sorcière démasquée.

Julien Appia, l'observateur

"Les porteurs du cercueil sont souvent drogués"

La pratique, connue sous le nom de "londola" en République démocratique du Congo est également présente au Burkina Faso, au Niger et au Ghana. Pour le docteur Yao Saturnin Davy Akaffou, anthropologue et enseignant-chercheur à l’Institut des Sciences Anthropologiques et de Développement de l’Université Félix Houpouët Boigny, c’est principalement l’ethnie Akan, dans le sud de la Côte d’Ivoire, qui serait attachée à ces rites :

En Côte d’Ivoire, dans les représentations des Akans, la mort n’est jamais naturelle ou fortuite, et on va rechercher dans le culturel, le spirituel, une explication à un décès. Il n’y a aucune explication scientifique à ces éléments, et dans la plupart des cas, ce sont des individus accusés de sorcellerie ou même des membres de la famille qui sont "victimes du cercueil ". Il est donc évident qu’on puisse suspecter des règlements de compte derrière ce genre de rite.

Il faut cependant préciser que très souvent, les porteurs du cercueil ont recours à des pratiques médicinales qui font l’effet d’une drogue très forte. Dans la croyance, c’est absolument nécessaire pour éviter de soi-même subir le courroux du défunt. Leur état peut donc expliquer ces débordements dramatiques.

Selon mes observations, ces pratiques sont en très large recul, parce que les auteurs de ces gestes se sont rendus compte qu’ils étaient très souvent condamnés pour meurtre. Souvent, les chefs du village, conscients des dérives, n’autorisent plus les gens à porter le cercueil.