Deuxième jour de déposition à la Cour pénale internationale pour l’ex-chef du CECOS. Une longue journée d’audience où il aura été beaucoup question du commandant Séka et des rencontres entre Laurent Gbagbo et ses officiers supérieurs.
Par Anne Leray
En ouverture de séance ce matin, Melissa Pack, substitut de la procureure Fatou Bensouda, est revenue sur une réunion qui s’était tenue à l’Etat-major en février 2011, en présence de tous les hauts gradés de l’Etat ivoirien, à l’exception de la garde républicaine. Une réunion au cours de laquelle le commandant Séka (1), avait donné sa vision de la stratégie à mener contre le Commando invisible. « Si des officiers avaient des informations à communiquer, ces réunions n’étaient pas fermées à ce genre de demandes » a soutenu le général Bi Poin ce matin, qui avait pourtant déclaré hier que cette intrusion avait été perçue comme fort mal à propos par les généraux .
« Séka a pris possession de l’école de Gendarmerie »
« Le commandant Séka était-il impliqué dans des opérations militaires ? » a voulu savoir Melissa Pack. « Ah ça, c’est un autre problème mais si vous voulez qu’on en parle, on peut », lui a lancé Guiai Bi Poin avec aplomb, très à l’aise dans son rôle de témoin, prompte à demander à son interlocutrice de préciser ou de reformuler ses questions.
Plus loquace que ses homologues de la gendarmerie et de la police, orateur doté d’un certain charisme, l’ex-patron du CECOS a volontier développé certains sujets, orientant parfois lui-même l’interrogatoire vers les chemins qu’il voulait prendre. Comme ce développement à propos du fonctionnement des Forces de défense et de sécurité.
« Nos opérations étaient très encadrées, c’était un ensemble d’actions collectives », a-t-il commencé à expliquer. « Le chef d’Etat-major avait mis en place un commandement unifié avec ses officiers, et on estimait qu’aucune autre force ne pouvait intervenir en dehors de cette chaîne. On devait tous se soumettre aux demandes de l’Etat-major. On reprochait justement à Séka d’intervenir hors de ce commandement unifié. On l’a aperçu sur le terrain avec un groupe d’hommes combattant le Commando invisible ». L’électron libre se serait alors « vigoureusement » fait tancer par Philippe Mangou.
Georges Guiai Bi Poin a ensuite répondu de son départ de l’école de gendarmerie à la fin de la crise postélectorale. « Je suis parti le 31 mars 2011. On avait mis les officiers en congé pour leur sécurité car on savait que l’école et moi-même étions une cible. Elle a en effet été bombardée, et des obus sont tombés dans la cour de mon habitation ».
Peu après le départ du général Bi Poin, Séka aurait pris possession des lieux et des quelques éléments du CECOS restés sur place. « Et ce n’est pas fini, il y a un autre épisode que vous n’avez pas vu sur votre document. Le commissaire Robé voulait reprendre le contrôle de ses hommes. Séka a refusé, il était menaçant et Robé est parti ». Poursuivant : « Il faut préciser que c’était entre le 1er et le 10 avril 2011, une période de crise généralisée. Il n’y avait plus d’ordre en Côte d’Ivoire, la situation était critique, on ne pouvait plus rien faire ».
« Si je tombe, vous tombez »
La procureure a ensuite lancé le général Bi Poin sur la relation du chef d’Etat-major à ses supérieurs, à savoir le ministre de la Défense et le Président de la République. « Rendait-il des comptes à ses chefs ? » a demandé Melissa Pack. « Je n’en doute pas, il était en contact régulier avec eux. Madame, les généraux sont de très hauts responsables et nous connaissions parfaitement nos missions en temps de crise et de guerre ».
Après être sorti du prétoire à la demande des équipes de défense qui souhaitaient une mise au point sur la méthode d’interrogation de l’accusation, il a poursuivi spontanément. « Pendant que j’étais sorti, je réfléchissais. En quoi est-ce inhabituel qu’un chef d’Etat-major voit son chef en temps de crise ? Je maintiens, il le voyait et l’appelait régulièrement ».
Deux questions lui ont permis de préciser son propre rapport à la hiérarchie. Interrogé sur la phrase qu’aurait prononcé Laurent Gbagbo le 7 août 2010 lors de la fête nationale, le fameux « Si je tombe, vous tombez », il a été invité à en donner interprétation. « Pour moi un soldat a un devoir de loyauté. C’était donc une invitation à continuer à être loyal vis à vis de l’autorité ». Il dira plus loin : « Je suis un soldat et un soldat ne commente pas les décisions de ses chefs ».
« Le Président ne parlait jamais de politique avec nous »
Longuement sondé sur la teneur de ses nombreux passages à la résidence et au palais présidentiel, où il se trouvait souvent avec l’ensemble des généraux, Bi Poin a dit se rappeler de trois de ces rencontres, et répété qu’il ne se souvenait pas du contenu des autres. « Des visites à la présidence, on en a fait beaucoup ». A propos des couvre-feux de l’entre-deux tour de la présidentielle, il dira : « La seule fois où je me rappelle avoir parlé du couvre-feu c’était au palais ». Les plus hautes sphères de l’Etat étaient alors réunies : Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et l’ensemble leurs équipes « ainsi que le président du Burkina Faso et ses collaborateurs ».
« On nous a demandé, à nous militaires, notre avis sur le couvre-feu institué la veille des élections, et notamment la veille du second tour. On s’est mis dans un petit coin du bureau, on s’est concertés, et nous sommes sortis. Tous les généraux ont estimé que c’était une mesure utile pour apaiser la situation et qu’il était bon de le maintenir ». Un couvre-feu qui n’était pas du goût d’Alassane Ouattara a rapporté le témoin à demi-mots. Malgré son insistance, l’accusation n’arrivera pas lui à arracher la date de cette réunion. « Je ne me souviens plus, cela fait presque huit ans ».
Affirmant que le CECOS n’avait pas été « impliqué dans le dispositif de sécurisation des élections », Guiai Bi Poin a ainsi décrit le climat électoral : « Pour nous, le premier tour s’est déroulé de façon idéale. Il y a ensuite eu des frictions mais pas une détérioration réelle de la situation sécuritaire ». L’audience, suspendue jusqu’à demain, s’est conclue sur cette allégation du témoin : « Le Président ne parlait jamais de politique avec nous ».
A la CPI, Guiai Bi Poin enfonce Séka Séka - Photo à titre d'illustration