Tout comme l’ensemble de la Côte d’Ivoire, Abidjan (la capitale économique du pays) est en ce moment le reflet d’un certain nombre de grands chantiers censés relooker l’entièreté de l’économie locale. Dans les rues abidjanaises, on veut cependant voir s’accélérer ces mutations pour profiter à nouveau de la croissance. (Par Edem Gadegbeku) «L’argent travaille, on ne le voit pas, tout le monde le cherche ; la crise touche toutes les bourses ». C’est le ramassis de réactions se recoupant d’Ivoiriens lambda sur la situation économique de leur pays en ce moment. Des mots et des réactions qui ne se veulent pas ouvertement et foncièrement alarmistes, mais plutôt des alertes lancées à la classe dirigeante, face à la lenteur des réformes et chantiers sans lesquels la croissance économique ne serait être de nouveau pérenne dans la locomotive économique de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine).
« La construction en cours de nouvelles infrastructures pour décongestionner la circulation qui connaît de gros embouteillages à des heures de pointe à Abidjan est une bonne nouvelle pour l’ensemble du pays. Mais pendant ce temps, moi qui ai subi un licenciement de la Sotra (Société des transports abidjanais), je vais vivre de quoi ? Nous sommes près d’un millier dans ce cas depuis 2011 ! », s’alarme un conducteur de bus. Des réactions de citoyens dans une capitale dont les activités quotidiennes (marchés, écoles, administration, etc.) ont retrouvé leur normalité qui ont vite fait de prendre des colorations politiques… « Tout est devenu cher tout d’un coup depuis plus de deux ans sous le président Ado ; avec surtout la survivance inquiétante de poches d’insécurité dès la tombée de la nuit », déplore dans ce lot de commentaires un journaliste local, G. E. Ce décor social n’empêche pas pour autant les principaux coins chauds de la cité abidjanaise de tourner à plein régime, une fois la nuit tombée. Entre autres à Yopougon (plus grande commune dans le district d’Abidjan). Le tout sous l’œil "vigilant" des éléments de l’Onuci (Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire) et des forces françaises dont des détachements circulent encore de façon ostentatoire dans les rues abidjanaises ; de jour comme de nuit.
Des mots pour pester et contester
« Sous le président Gbagbo, les salaires des fonctionnaires, même au plus fort de la division en deux du pays, étaient payés au plus tard le 25 du mois. Sous Ado, ce n’est plus le cas. Bref, le commun des Ivoiriens a d’une manière générale perdu son côté "viveur" ! Toutes les moindres dépenses sont calculées», fait remarquer avec un brin d’humour François, fonctionnaire de son état. Embrayant davantage sur "l’humour ivoirien", un vendeur de matériel informatique critique le rapprochement à outrance entre gouvernements ivoirien et burkinabé : « La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont devenus un ; il n’existe même plus de frontières entre les deux Etats ; on ne sait plus véritablement qui fait quoi, où, quand et comment ». Ce type de commentaire cache un certain nombre de frustrations dont se fait l'écho et résume cette ménagère, sur fond de dénonciation de la vie chère et du chômage : « Une partie de la population demeure aigrie parce qu’il s’instaure une injustice, essentiellement sociale et politique, en matière de répartition des postes décisionnels au sommet de l’Etat ou dans les offres d’emplois dans la Fonction publique. On sent ouvertement du favoritisme à l’égard des pros Ado contre les pros Gbagbo. Si l’on n’y prend pas garde rapidement, ces mécontentements vont prendre une autre ampleur au fil des mois, et nous éloigner à grands pas de la perspective de réconciliation vantée par le pouvoir actuel ».
Au nom justement de ce chantier de la réconciliation et de la reconstruction, le président Alassane Ouattara est du 2 au 8 juillet 2013 dans le district des Savanes de la Côte d’Ivoire (le grand nord ivoirien) où il défend les acquis de son premier mandat et justifie ses voyages incessants à l’étranger.
Une visite qui selon les médias gouvernementaux et des officiels ivoiriens s’inscrit dans la droite ligne de la matérialisation de projets chers au numéro un ivoirien : « Le projet national de développement et le projet présidentiel d’urgence ». Des efforts présidentiels loin encore de faire l’unanimité, si l’on s’en tient à la « Une » du journal « Le Temps », sur le sujet. Dans sa livraison « n° 2942 du 3 juillet 2013 », il titre sur le déplacement d’Ado : « Ouattara dans son "Camp Boiro" (ndlr : en référence à un camp de torture en Guinée) du Nord ». Des mots qui traduisent indirectement l’étendue des chantiers destinés à recoudre le tissu social du premier producteur mondial de cacao. Tout comme la ligne éditoriale des organes officiels ivoiriens qui se garde de critiquer l’action gouvernementale ; en l’occurrence la «RTI 1» qui se veut une caisse de résonnance de la vision des autorités.
Abidjan continue de croire au miracle ivoirien, malgré tout. - Photo à titre d'illustration