Ce sont des hommes et des femmes, d’âges variés, qui travaillent comme agents de sécurité privée appelés communément vigiles. Leurs conditions de travail aussi bien que leur traitement salarial s’apparente à la limite à de l’esclavage.
Des salaires de misère au prix de leur vie
En contrepartie du colossal travail abattu par les agents de sécurités, c’est un salaire misérable qu’ils perçoivent. Dans le milieu de sociétés de sécurité privée, les salaires dépendent des types de contrats et des structures avec lesquelles ces entreprises passent les contrats. Mais en général, ils commencent par 35.000 FCFA, c’est-à-dire en deçà du SMIG qui est de 60 000 FCFA.Le plafond, lui est fixé à 80.000 FCFA.
« Je perçois 33.000 FCFA chaque mois. Nous ne sommes pas embauchés. Nous sommes considérés comme des contractuels », confie Y.K. ce dernier dénonce par ailleurs le super profit que leur entreprise tire de leur travail. « Devant tout ces abus, quand on revendique, pour nous museler, les responsables nous traitent de miliciens et font appel à leurs connaissances qui ont des éléments des FRCI », se plaint-il.
Agents de sécurité privée et de gardiennage : Les esclaves du 21e siècle (1)
En effet, la plupart de ces travailleurs n’ont pas un bulletin de salaire. La paie se fait de main à main. Ceux d’entre eux, qui ont été embauchés et qui justifient d’un bulletin de paie se plaignent constamment des ponctions faites sur leur salaire. Il s’agit des prélèvements effectués à la base pour la CNPS, l’impôt général sur le revenu (IGR), etc. Ces nombreuses déductions même justifiées, ne dissuadent pas certains agents de sécurité sur l’idée qu’on les vole.
« Il y a tellement de retenues sur mon salaire que finalement ce que je perçois ne vaut rien. De 50.000 FCFA, je me retrouve chaque mois avec 38.560 F. je ne sais pas comment cela se passe, mais voici ce que je gagne : c’est du vol », accuse H.B pour dire combien, les agents de sécurité peinent à s’assumer et à vivre décemment de leur métier.
« Non seulement le salaire est insignifiant, mais il est versé avec un retard considérable. Depuis 4 ans que je suis dans cette société, je ne suis pas déclaré à la CNPS. Ils me font croire le contraire. Alors qu’ils sont incapables de me donner la moindre preuve de ce qu’ils avancent », s’insurge Y.G.
Les sociétés de sécurités privées, il y a en à foison, mais bon nombre ne respectent guère les clauses de la convention collective interprofessionnelle. Dans ce milieu, mieux vaut ne pas s’absenter quelque soit la raison. Le travail c’est le travail, un point c’est tout. Les ponctions sont comme une épée de Damoclès qui plane au dessus de la tête de ces travailleurs.
A la moindre erreur, elle frappe sans état d’arme. Ce qui fait que des agents peuvent se retrouver avec 10.000 FCFA à la fin du mois du fait des ponctions de salaire dues aux absences. Autres formes d’exploitations, la tenue de travail. Ils obligent pratiquement les agents à renouveler très régulièrement les tenues chez eux, moyennant bien sûr la somme de 10.000 FCFA. Pour une raison ou une autre, ces agents sont licenciés sans préavis, et sans aucun droit.
« Il y a des sociétés qui font signer des contrats de 2 ans à des éléments et après ces 2 ans, elles les libèrent purement et simplement sans aucune mesure d’accompagnement », dénonce Y.K, un agent de sécurité qui ne support par la mauvaise foi des chefs d’entreprises de sécurité privée.
Il arrive parfois qu’ils passent trois mois sans être payés. Y.G renchérit: « je suis dans cette société depuis 4 ans. J’y suis encore malgré moi. Parce que ce que nous vivons est digne de l’esclavage. Nous travaillons comme des forcenés pour presque rien. Je me demande si ces gens ont un cœur. Il suffit qu’un élément s’absent, un prélèvement systématique de 2.000f à 5.000f est fait sur son salaire ».
« Je me suis absenté pendant 2 jours pour cause de maladie. Cette absence a été justifiée, mais malgré tout cela, l’on a prélevé 10.000f CFA sur mon salaire. Sur la base du rapport fait par des contrôleurs. Alors que je suis pointé 2500f par jour », fustige KS.
Toutes ces ponctions faites se trouvent dans les poches de ces chefs véreux. Il n’est pas seul dans cette situation. A.B. se souvient de l’expérience vécue par l’un de ses collègues.
« Mon collègue assurait la surveillance de la résidence d’une canadienne. Celle-ci versait 400.000f à notre société. Mais mon collègue n’a jamais perçu plus de 50.000f. Quand la dame s’en est rendu compte, elle a résilie le contrat. Estimant qu’elle ne pouvait pas cautionner une attitude digne d’esclavage ».
Jean marc un expatrié (client de l’une de ces sociétés de sécurité privée) n’en revient pas lorsqu’il a découvrait la misère faite à ces agents. « J’entends dire qu’il y a des sociétés qui paient des salaires de misère à leurs agents », s’étonne jean marc. Qui, par ailleurs, souligne que « la part qui revient aux agents est très marginale comparée à ce que l’entreprise contractante paie. Certains agents sont payés à 50.000 FCFA ou 60.000 FCFA alors que le contrat est signé à hauteur de 800.000 FCFA par mois.
Le danger permanent
Conditions de travail difficiles, salaire de misère, irrégularité alarmante dans le paiement des salaires, la liste n’est pas exhaustive. Franchement, il n’est pas bon d’être agent de société de gardiennage. C.H, qui a fait 10 ans dans ce métier se souvient encore de la mort d’un membre de son équipe, à la suite d’un braquage dans un magasin d’appareils ménagers où il montait la garde. « Mon ami a reçu une balle dans la poitrine.
Il est mort sur le coup et le magasin a été dévalisé », nous apprend-il. S’il regrette aujourd’hui la mort violente de son ami, il ne décolère pas non plus contre la société qui l’employait. « Pour toute aide à la famille du travailleur, l’entreprise n’a remis que la somme de 180.000 FCFA. Ce qui correspond à quatre mois d’arriérés de salaire qu’elle lui devait », déplore-t-il.
Plusieurs croupissent dans des cellules à la maison d’arrêt de correction d’Abidjan(MACA), sans jugement parce qu’accusés d’avoir permis tel ou tel braquage. Comme on le voit, les gardiens de société travaillent à leurs risques et périls et ne sont payés qu’en monnaie de singe. Ils exercent leur profession sans aucune garantie et sans aucune couverture sociale. Pour ces hommes et ces femmes qui sont arrivés dans ce métier par dépit, c’est la galère.
Des chefs d’entreprises véreux
Le moins que l’on puisse dire, au regard de la misère et de la galère des agents de sécurité, c’est qu’ils ont des patrons véreux, très portés sur le gain. Par conséquent le non-respect des normes du travail est la valeur cardinale, la plus partagée par la majorité des chefs d’entreprises de sécurités privées.
Malheureusement, certains inspecteurs et contrôleurs se font complices de ces abus. Beaucoup de chefs d’entreprise de sécurité, se montrent peu soucieux de leurs employés. Ils préfèrent rouler dans des grosses cylindrées. Peu importe la misère des agents.
Une attitude qui prospère faute de textes réglementaires dans ce corps de métiers. De source bien introduites sont unanimes à reconnaitre qu’il n’existe aucun texte qui régit, jusqu’à ce jour, cette profession. Les salaires sont pratiquement imposés aux éléments recrutés en fonction des réalités des entreprises.
« Quand nous les recrutons, nous leur expliquons la réalité de l’entreprise et nous définissons leur salaire, en général de manière unilatérale. Notre masse salariale est fonction des revenus que nous cumulons auprès de nos clients », explique DJ, directeur commercial d’une société de gardiennage de la place.
Le seul qui a accepté de s’expliquer sur le sujet. Parlant des arriérés de salaire dont les travailleurs se plaignent au quotidien, cela est imputable au non règlement à temps des factures par des clients. « Nous sommes fréquemment confrontés à ce genre de problèmes. Et quand c’est le cas, ce sont nos agents qui payent les pots cassés parce que si nous ne recevons rien, nous ne pouvons pas les payer », tente de justifier DJ.
De la nécessite d’assainir le milieu
Cet aveu d’impuissance atteste bien de l’injustice que subissent au quotidien les agents de sécurité il serait donc souhaitable que le gouvernement mette de l’ordre dans cette profession en commençant par légiférer sur les normes. A l’image des écoles boutiques qui prospèrent partout au niveau de l’enseignement privé.
Justement pour y remédier, alors à la tête du conseil national de sécurité (CNS) en 1998, le Général Tanny Joseph, sur la base d’une esquisse de règlementation avait permis de sélectionner 68 entreprises ayant un registre de commerce, sur un total de plus 700 structures opérant sur le territoire ivoirien.
Mais, la situation actuelle est alarmante. D’où la nécessité de réorganiser le milieu avec des acteurs crédibles et sérieux. En 2005, un recensement avait relevé que sur 300 entreprises intervenant dans la sécurité privée, moins d’une centaine était détentrice d’un registre de commerce. Un nouveau recensement est donc nécessaire. A la suite duquel l’Etat devra procéder à la fermeture pure et simple des sociétés qui fonctionnent en dehors des normes.
« Toute société sans agrément doit être purement et simplement fermée. Il faut imposer la convention collective en matière de traitement salariale à toutes les sociétés de sécurité privées. L’agrément ne doit pas être accordé aux entreprises qui ne remplissent pas les cahiers de charges imposés par les autorités compétant », suggère I.D. Virgile de son état. Certains professionnels du secteur proposent même la création d’un comité de gestion de sécurité privé de Cote D’ivoire(C.G.S.P.CI), une sorte de faitière qui réunira toutes les structures de patronats existantes dans ce secteur.
Et qui serait dirigé par une personne jouissant d’une probité sans faille. Car dit-il, « c’est le foisonnement des structures de patronats qui crée le désordre observé dans le milieu ». La politique d’assainissement doit également consister à éditer une liste des sociétés agréées à exercer l’activité de sécurité privée.
Et c’est à ces acteurs agréés que les populations, que les cibles des prestations de sécurité privée doivent désormais se conformer. Et une large diffusion de cette liste doit être faite. Pour ne pas laisser les usagers aux mains d’operateurs véreux et clandestins.
Réalisé par Sylvain Dakouri
Photo à titre d'illustration