C'est le grand sujet du moment en Côte d’Ivoire. Tout le monde en parle. Le remaniement ministériel est oublié. Chacun cogite et spécule sur la réforme constitutionnelle à venir et sur la création du poste de vice-président de la République, et met cela en relation avec le parti unifié en cours de création, ainsi que les équilibres à réaliser pour aider la coalition des héritiers d'Houphouët-Boigny à conserver durablement le pouvoir.
Alors que la remontée en puissance de Jeannot Ahoussou Kouadio par sa désignation pour la deuxième fois consécutive en qualité de Directeur national de campagne du candidat Ouattara - donc crédité absolument de compétences et qualités à même de faire gagner le candidat, et au moins identiques à celui du co-directeur national, l'incontournable Amadou Gon Coulibaly- , et les résultats obtenus dans les zones Pdci-Rda, l'avaient remis en pôle position dans le débat sur l'alternance, un adversaire inattendu et imprévu est entré dans la course.
Ainsi, l'on apprend que le choix premier du chef de l'Etat pour la vice-présidence de la République n'est autre que l'actuel Premier ministre, Daniel Kablan Duncan.
La réforme instituant le poste de vice-président et les prérogatives et pouvoirs précis et limités, pendant que le président est en exercice et en pleine possession de ses qualités pourrait, tout en maintenant la limite de deux mandats, effacer la limite d'âge maximum comme par exemple au Sénégal, pour accéder à la magistrature suprême.
Pas plus de deux mandats possibles (successivement ou définitivement) , mais à tout âge cela est possible. Dans cette perspective, Daniel Kablan Duncan pourrait quitter la Primature, qui est un poste appelé à disparaître - à moins que la Côte d’Ivoire veuille installer une confusion institutionnelle - comme dans tous les pays au monde, disposant du poste de vice-président dans leur constitution.
Avec la suppression du poste de Premier ministre, le président de la République, redeviendra pleinement et constitutionnellement le chef du gouvernement - ce qu'il est déjà en réalité car il préside le conseil des ministres, tandis que la Constitution prescrit pourtant que le Premier ministre est le chef du gouvernement.
Les autres vice-présidentiables signalés
Oui, Ahoussou Jeannot dont les partisans déplorent qu'on le trouve seulement incompétent pour demeurer Premier ministre, ou président de la République, alors qu'il n'a pas été un avocat incompétent, un ministre incompétent, un directeur de campagne incompétent, un président de Conseil régional incompétent, un président d'associations des régions incompétent, et j'en passe - doit donc faire face à l'équation Daniel Kablan Duncan, lui qui croyait avoir réussi à damer le pion aux autres vice-presidentiables qui étaient sur la short list, chacun avec ses forces et ses faiblesses : Niamien Ngoran, Charles Diby Koffi, Patrick Achi , Maurice Kacou Guikahué, Mabri Toikeuse, Allah Kouadio Rémi.
Même s'il trouve un air de Poutine-Medvedev à un schéma de ticket Ouattara-Duncan, des observateurs assurent qu'il convient de prendre cela très au sérieux.
Pour sa part, Ahoussou Jeannot qui n'y avait pas assez souvent rêvé en se rasant les matins, commence de plus en plus à croire en son étoile, et reste déterminé à jouer pleinement sa partition, avec les nombreuses cartes dont il dispose dans le Pdci et le réseau Baoulé.
Sa principale force reste aussi sa principale faiblesse : le parrainage exclusif du président Bédié. Il manque encore un appel clair, et une adhésion populaire réelle. Une adhésion qui permet à un homme politique de s'imposer lorsque l'appareil l'a rejeté.
Mais Ahoussou Jeannot Kouadio n'est pas un homme qui peut nourrir une fronde, pour forcer le destin. Lui qui revient de loin après sa disgrâce et son départ brutal de la primature n'est pas prêt à changer de posture.
Alors que des gens pressés de son entourage lui conseillait de se rebeller, d'entrer en dissidence, de dénoncer l'affront et l'humiliation, l'homme s'est mis au-dessus, a subi les railleries et quolibets, puis s'est mis à nouveau avec loyauté au service et à la disposition du président de la République.
Mais pourra-t-il durablement et solidement en tirer cette fois-ci les dividendes s'il ne parvient pas, à exister par lui-même, à travers un acte fort, une démonstration de fidélité à sa personne, de l'électorat Pdci-Rda et une affirmation claire et nette de ses ambitions. Personne ne lui dit de tuer le père, mais l'adage est connu : aide-toi et le ciel t'aidera.
Alternance 2020 : bataille entre pro-Bédié et pro-Ouattara
Mais en vérité l'adversité pour Ahoussou Jeannot, Duncan et les autres vice-présidentiables issus du Rhdp, ou estampillés pro-Bédié n'est pas seulement au sein du vieux parti, ni autour du président Bédié. Ils doivent passer aussi convaincre les concurrents issus du Rdr.
Alors que ceux-ci sont connus pour être des pro-Ouattara et des militants du Rdr, ils font savoir que dans le cadre du parti unifié les origines et les différences sont appelées à disparaître.
Selon ces agitateurs d'idées pro-Ouattara, exiger que l'alternance soit confiée à un cadre issu du Pdci-Rda est un non sens, dans la mesure où il n'existera plus de Pdci-Rda. Ils proposent plutôt de soumettre tout le monde aux mêmes règles, aux mêmes conditions, et d'instaurer une primaire interne, à l'américaine en se basant par exemple sur le même système choisi pour la mise en place des coordinations locales, départementales et régionales de campagne du Rhdp.
Ainsi 10 mille à 15 mille délégués ou congressistes, pourraient être réunis, pour choisir les éventuels tickets (président et vice-président) présidentiels, et non pas les seuls candidats à la présidence de la République.
Des comités ‘’2020 c'est maintenant, l'alternance c'est maintenant, fais ton choix de 2020 sinon il sera tard’’, ont déjà commencé à naître depuis la prestation de serment du président de la République.
Cette façon de voir les choses est rejetée naturellement par la tendance pro- Bédié du parti unifié. Elle admet que s'il est vrai qu'on ne peut parler de parti d'origine dans la fusion, et dans l'unification, il n'en demeure pas moins vrai que chacun a un parcours, un profil , un lien, ou un référant dans le nouveau parti.
« Par exemple nous sommes tous des Ivoiriens, nous sommes 23 millions d'Ivoiriens mais nous ne sommes pas 23 millions de musulmans, de chrétiens, ni 23 millions d'animistes, de Senoufo, Baoulé ou de ressortissants du Goh.
Chacun de nous a une identité, ou des affinités qu'on ne peut pas gommer dans la Nation, encore moins dans le cadre du parti unifié. A défaut de trouver encore des militants Pdci, Rdr, Mfa ou Udpci, ou encore Upci, on pourrait quand même trouver légitimement des pro-Ouattara, des pro -Bédié , en attendant que se forment des pro-Soro, pro-Bakayoko, pro-Amadou, pro-Diby, pro-Duncan et pro-Ahoussou» , rétorquent les militants du parti unifié venant du Pdci-Rda.
Ceux-ci assurent qu'ils ne resteront pas en marge de la mobilisation et de l'activisme des cercles de recrutement de partisans, et qu'ils joueront leurs cartes sans craindre de représailles, même s'ils sont conscients que jusqu'au soir du 3 novembre 2020, Bédié et surtout Ouattara demeureront les principaux maîtres du jeu, pouvant user aussi bien du bâton que de la carotte.
« Mais tout n'ira pas comme une lettre à la poste. Et le Rdr risque d'être le gros perdant parce qu'il manifeste un insatiable appétit avec certains de ses cadres qui comptent sur le parti unifié pour les adouber au détriment de alternance vraie», s'inquiète un observateur.
Charles Kouassi
Photo d'archives à titre d'illustration