Partisans d’une réconciliation et adeptes de la rupture entre Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié jouent leur partition en coulisse.
Quand Kouadio Konan Bertin (KKB), 48 ans, réintègre le parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), en juin, il sait que le vent a tourné en sa faveur. L’ex-candidat indépendant à la présidentielle de 2015 était déjà à cette époque un partisan de la rupture avec le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Si cette option était, à ce moment-là, exclue par le PDCI – ce qui lui a valu le bannissement –, elle est aujourd’hui envisagée par de nombreux militants. « 2020 sera un moment de vérité. La bataille entre le PDCI et le RDR aura lieu un jour », assène KKB, qui préfère à l’alliance actuelle de son parti avec le RDR un rapprochement avec le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, ou au moins avec l’une de ses deux tendances.
Quant à Emmanuel Niamien N’Goran, 68 ans, vice-président du PDCI, il prône la désunion avec le RDR et compte se lancer, dans les prochaines semaines, dans la course à l’investiture de son parti en vue de la présidentielle de 2020. Gonflé à bloc depuis son éviction de la tête de l’Inspection générale d’État (IGE) par ADO, Niamien a effectué le déplacement à Paris pour informer personnellement l’ancien président de son ambition. « Bédié ne lui a pas accordé sa bénédiction, contrairement à ce qu’il espérait, confie l’un de ses proches, mais il ne l’a pas non plus dissuadé de se lancer dans l’arène. C’est un bon point pour lui. »
Un troisième mandat
Face aux partisans de la rupture avec le RDR, un autre camp, emmené par Daniel Kablan Duncan, 74 ans, vice-président de la République et vice-président du PDCI, prône l’apaisement tout en se méfiant du rapprochement entre Bédié et Guillaume Soro.
Le 22 juillet, Duncan a joué les bons offices à Paris, auprès de Bédié, à la tête d’une délégation de cinq personnalités, dont son bras droit Théophile N’Doli Ahoua, qui a remplacé Niamien à la tête de l’IGE. Considéré comme le meilleur candidat de Ouattara à une éventuelle investiture du PDCI, Duncan n’a aucun intérêt à voir les deux hommes à qui il doit toute sa carrière politique s’entre-déchirer à nouveau.
Du côté du RDR, Ibrahim Cissé Bacongo, 62 ans, député de Koumassi (commune d’Abidjan) et conseiller d’ADO, n’a jamais caché sa volonté d’en découdre avec le PDCI. En avril, Bédié l’a reçu en audience à Daoukro et a tenté de le recadrer, apparemment sans succès. Dans sa circonscription, Bacongo multiplie les discours qui font mal. « Nous ne voulons pas nous arrêter à deux mandats, a-t-il lancé. Je ne me suis pas battu de 1994 à 2011 pour deux mandats. On s’est battus pour être au pouvoir pendant longtemps. »
Une position partagée par Amadou Soumahoro, 63 ans, secrétaire général par intérim du RDR. Au PDCI, certains l’accusent même de manœuvrer pour un troisième mandat de Ouattara. Soumahoro ne s’en cache d’ailleurs pas. « Si au congrès [du RDR, prévu les 9 et 10 septembre], les militants demandent au président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat à la présidence, ce sera à lui de répondre. C’est un homme de parole qui ne se dédit pas. Mais si par extraordinaire il se dédisait, nous aviserions », confie-t-il.
KKB préfère à l’alliance actuelle du PDCI avec le RDR un rapprochement avec le FPI de Laurent Gbagbo
De son côté, le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, 58 ans, s’emploie à calmer les ardeurs de certains cadres du RDR. Homme de confiance de Ouattara, il estime que le débat autour de la succession de celui-ci est inopportun. « C’est une question qui concerne en premier lieu le chef de l’État et le président Henri Konan Bédié, soutient-il. À titre personnel, je pense que nous devons renforcer le RHDP. Nous avons un passé, une vision et des combats communs. » Une crise entre Bédié et Ouattara plomberait son action dans un gouvernement constitué des proches des deux hommes.
Les Ivoiriens retiennent leur souffle et espèrent que les deux personnalités sauront taire leurs divergences. Pour le très tempéré Jeannot Ahoussou-Kouadio, 66 ans, vice-président du PDCI et ministre d’État, « quand les présidents Ouattara et Bédié s’entendent, la Côte d’Ivoire se porte bien. Si une tension devait naître entre les deux, l’Histoire retiendrait qu’avant leur retraite politique ils n’ont pas su rassembler les enfants d’Houphouët-Boigny ».
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