Notre chroniqueur dénonce la déprogrammation du film de Pierre Yaméogo du Festival de Ouagadougou pour raisons politiques, mais ne s’étonne pas que Canal Horizons n’en ait pas voulu.
C’est un film qui a été écarté sans ménagement de la sélection officielle de la 25e édition du Festival panafricain du cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco), prévue du 28 février au 4 mars prochain, dans la capitale burkinabée.
Il n’a pas été vu non plus par les téléspectateurs de Canal Horizons, bien que la chaîne de l’homme d’affaires français Vincent Bolloré ait préacheté pour 25 000 euros les droits de diffusion. A l’évidence, Bayiri, la patrie, le dernier long-métrage du réalisateur burkinabé Pierre Yaméogo, achevé en 2011 et primé un an plus tard au Maroc, ne soulève guère d’enthousiasme chez les décideurs, tant il aborde une question encore sensible : la rébellion déclenchée en 2002 en Côte d’ivoire et qui finit par écarter du pouvoir Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien, en 2011.
Mêlant fiction et drame contemporain, Pierre Yaméogo décrit en 90 minutes la descente aux enfers d’un village ivoirien essentiellement peuplé de planteurs burkinabés, contraints par la guerre d’emprunter les chemins de l’exil. A l’aide de longs plans, on y voit la misère d’un camp de déplacés où se côtoient la solitude, l’errance, la maladie et la mort.
S’il évoque les viols et les rackets perpétrés par les ex-rebelles ivoiriens, le film, que j’ai pu voir lors d’une projection exceptionnelle fin 2016 à Paris, n’a rien d’un pamphlet contre le pouvoir d’Abidjan, encore moins contre le régime du nouveau président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier n’était d’ailleurs pas arrivé aux affaires lorsque le film a été tourné lors d’une grande reconstitution organisée près de Ouagadougou.
Censure par précaution
A chacun, donc, ses raisons de prendre ses distances d’avec Bayiri, contre lequel il n’existe aucune consigne officielle de censure. Pour le groupe Bolloré, dont le patron fut l’un des rares industriels français à soutenir Laurent Gbagbo lors des derniers mois de la crise ivoirienne, on comprend qu’il vaut mieux renoncer à diffuser un film qui pourrait déplaire, notamment aux ex-rebelles ivoiriens dont certains, comme Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, sont devenus de hautes personnalités de l’Etat présidé par Alassane Ouattara.
La prudence de Canal Horizons se comprend d’autant plus que les enjeux économiques pour le groupe Bolloré en Côte d’Ivoire sont considérables. En effet, les deux terminaux à conteneurs du port autonome d’Abidjan, le plus grand en Afrique de l’Ouest francophone, sont dans l’escarcelle du groupe français. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est le premier pays d’Afrique francophone en nombre d’abonnés au bouquet de Canal Horizons, vendu entre 5 000 francs CFA (environ 7,50 euros) et 60 000 francs CFA (environ 92,50 euros).
En revanche, la mise à l’écart inavouée de Bayiri par le Fespaco procède de considérations clairement politiques. La Côte d’Ivoire étant le pays invité d’honneur de la 25e édition, il est apparu compliqué pour les organisateurs du festival de faire une place au film de Pierre Yaméogo en sélection officielle. « Il n’y a pas de consigne donnée par le pouvoir pour censurer le film, mais c’est le principe de précaution qui a amené les organisateurs à l’écarter de la compétition officielle », confie un spécialiste du cinéma africain dans le secret de l’organisation du Fespaco.
Le pouvoir burkinabé n’a visiblement pas voulu prendre, à travers la diffusion officielle de Bayiri, le risque de mettre en danger la dynamique de réconciliation amorcée avec la Côte d’Ivoire. Les deux pays ont connu fin 2015 une période de forte tension après que Guillaume Soro a été soupçonné d’avoir appuyé la tentative de coup d’Etat du général burkinabé Gilbert Diendéré.
Avec les mutineries actuelles en Côte d’Ivoire, où les ex-rebelles désormais réintégrés dans l’armée régulière tiennent le haut du pavé, le film de Pierre Yaméogo est devenu encore plus politiquement incorrect. Il ne reste au réalisateur burkinabé qu’à organiser des séances de projections privées dans les neuf salles dédiées de la 25e édition du Fespaco, hors compétition.
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
« Bayiri », le film sur la crise ivoirienne que Bolloré ne veut pas voir, ni le Fespaco