APA - Le président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), Henri Konan Bédié « n’est pas contre le parti unifié » du Rhdp, la coalition au pouvoir, « mais son problème, c’est de concilier les positions » au sein du Pdci, explique le docteur en science politique et enseignant-chercheur Claude Pregnon, dans un entretien à APA.
Le projet de parti unifié Rhdp est-il réaliste vu les ambitions affichées des partis leaders de vouloir conquérir le pouvoir d’Etat en 2020 ?
Avant de savoir si c’est une ambition réaliste, le problème c‘est de conceptualiser la naissance du parti unifié Rhdp, parce qu’en fait, ce n’est pas un parti qui naît de façon inopinée. Le parti unifié est le résultat de tout un processus. C’est d’abord la transformation du Rhdp (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix) qui a été mis en place en 2005 par un ensemble de partis politiques en France.
L’objectif du Rhdp en 2005, c’était de se constituer en un groupement de partis politiques d’opposition, et l’objectif c’était de combattre le régime en place et d’acquérir le pouvoir d’État et de l’exercer. Donc, c’était d’abord la première mission du Rhdp. Il finit par réussir ce pari en 2011, maintenant le problème se pose au niveau des conditions qui ont prévalu à la création du Rhdp. Au début, il y avait cette envie de vouloir exercer le pouvoir ensemble, mais ce qui était plus important, c’est de lutter contre le régime en place.
En 2011, quand le Rhdp arrive au pouvoir, ils sont encore un groupement de partis. Selon la loi ivoirienne de 93, un groupement de partis est un ensemble de partis politiques qui se mettent ensemble et qui acceptent de conduire un programme de gouvernement ensemble et qui ont les mêmes idéologies, seulement que les partis restent indépendants.
A la réalité du pouvoir, les choses changent parce que finalement le parti unifié devient une condition, une nécessité pour pouvoir pérenniser le régime en place. C’est-à-dire que d’un groupement de partis, on devient un parti unifié. Le parti unifié est plus que réaliste parce qu'à l’épreuve du pouvoir depuis sept ans, ceux qui tiennent le pouvoir se rendent compte que la garantie idéale pour pouvoir pérenniser leur régime, c’est dans le parti unifié qu'ils sont convaincus de rester plus longtemps au pouvoir, donc c’est du réalisme politique : Ils se réclament d’Houphouët-Boigny et la longévité de ce régime est essentiellement dû au parti unique, car le parti unique a créé les conditions de stabilité du régime d’Houphouët-Boigny.
En dehors de la croissance économique, c’est l’unanimisme qui a créé les conditions de stabilité du parti d’Houphouët-Boigny. Donc, ces héritiers qui se réclament de lui disent que l’ingéniosité politique d’Houphouët-Boigny c’était d’avoir réussi après les élections de 1957 à réunir un ensemble de partis dans un groupe, même si ce n’était pas un parti unifié, si on veut caricaturer, c’est une autre forme de parti unique qu'on trouve ici en 2018 en parti unifié, mais comme on est dans le multipartisme on ne peut pas parler de parti unique. Ceux qui sont à la base du parti unifié sont dans leur rôle, dans leur dynamique.
Un retour à un parti unique sous la forme du parti unifié ne serait-ce pas un recul de la démocratie ?
Quand vous regardez l’accord politique qui a eu lieu récemment, quand vous écoutez les leaders politiques du Rhdp, ils font en sorte de conditionner la survie du régime à l’union. Quand on va sur la scène politique, ils ont réussi à neutraliser l’opposition politique qui n’existe que de façon factuelle. Ce qui leur reste, c‘est de faire en sorte de créer les conditions pour conserver le pouvoir. Ils savent que s’ils vont en rang dispersé, ils risquent d’avoir des difficultés parce qu'ils vont disperser leur électorat. Si on se réfère à l’idéologie de Félix Houphouët-Boigny, même s'il a à un certain moment amené la stabilité politique, on peut dire que c’est un recul.
En 2018, on ne peut pas prôner l’unanimisme, c’est-à-dire qu’on est en train d’aller vers la pensée unique. Et cela arrange ceux qui sont au pouvoir. En réalité, aucun pouvoir au monde ne fait la passe. Tout pouvoir a tendance à se consolider, donc on ne peut pas leur reprocher cela. C’est l’opposition qui ne joue pas son rôle. S’il y a un recul, on peut dire que c’est de la responsabilité de l’opposition. Le multipartisme, c‘est depuis 1990, aujourd'hui on n’a pas d’opposition, donc c‘est normal ce qu'on observe.
Le PDCI souhaite une alternance au sein du Rhdp en sa faveur pour la présidentielle de 2020, est-ce qu’il pourra appeler bientôt à un congrès pour aller au parti unifié ?
Oui, mais la position du Pdci, c’est une position qu'il faut analyser. En réalité, de vieux partis comme le Pdci, il y a une analyse sociologique à mener. Il y a le renouvellement de la classe politique qui est En train de se faire au niveau des vieux partis. Aujourd'hui, il y a une pression interne à ce parti, c’est-à-dire que Henri Konan Bédié quand-il signe l’accord en 2005 avec Alassane Ouattara, il est obligé de venir argumenter auprès des membres de son parti.
Il ne faut pas qu'on ignore ce qu’il y avait entre le Pdci et le Rdr et pour qu'il puisse avoir accord, il a fallu bien que M. Bédié réussisse à convaincre les cadres de son parti. Dans la plupart des vieux partis africains, il n’y a pas trop de démocratie interne, les gens n’ont pas la possibilité de s’exprimer. C’est la voie du chef du parti qui est prépondérante. C’est sûr que pour que le Pdci puisse donner son soutien au Rdr en 2010 il a fallu que M. Bédié puisse user de son influence pour que les cadres de son parti puissent accepter. A l’analyse, on se rend compte qu’il y a une promesse d’alternance. Il y a forcément une promesse d’alternance politique qu’il a dû utiliser pour pouvoir convaincre les cadres de son parti. Aujourd'hui, M. Bédié est embarrassé. A mon analyse, il n’est pas contre le parti unifié, mais son problème, c’est de concilier les positions des cadres de son parti et la position du parti unifié.
Qu'est-ce qui pourrait faire que M. Bédié manque à concilier les cadres de son parti ?
M. Bédié a déjà signé l’accord politique qui crée le parti unifié. D’après des investigations M. Ouattara a instruit les cadres de son parti, après le congrès de l’Udpci, qui s’est soldé par un oui au parti unifié, et les autorités administratives pour que les textes du parti unifié soient déposés avec ou sans le Pdci. M. Ouattara conclut que la signature de l’accord politique par M. Bédié est une adhésion et que cette signature suffit pour engager la responsabilité du Pdci. M. Bédié souffle le chaud et le froid en faisant croire que le Pdci n’est pas engagé, mais l’accord politique est le socle de la création du parti unifié. L’accord politique jette les fonds baptismaux du parti unifié. Le reste n’est que formel, c’est-à-dire le dépôt des textes, sinon c’est le préambule du parti unifié.
Peut-on dire que le parti unifié Rhdp est déjà créé ?
Quatre partis du Rhdp ont déjà donné leur accord, il reste que le Pdci. Le problème est que le Pdci n’a pas encore fait de congrès. M. Bédié sait que quand il va aller au congrès, il aura des difficultés pour faire passer le projet d’adhésion au parti unifié parce qu'il y a une pression interne. Et aujourd'hui, là où il peut agir seul, il le fait, par exemple la signature de l’accord politique.
Il est allé signer alors que le Pdci ne s’est pas encore totalement prononcé sur le parti unifié. M. Bédié propose une alternance où un candidat Rhdp soit un candidat du Pdci, mais M. Ouattara dit qu'ils vont choisir le meilleur candidat. Donc, du coup on a deux positions. En fait, M. Bédié n’est pas contre le parti unifié, il veut donner l’espoir aux cadres du parti que la promesse qu'il avait faite, il va tout faire pour pouvoir s’arcbouter à cette promesse pour que cela puisse se réaliser.
Maintenant, on se rend compte qu'on est dans un cercle vicieux où à la fin, on est en train d’aboutir allègrement vers la question du parti unifié. Cela ne va pas fragiliser le parti unifié mais le Pdci. Cela a déjà eu lieu, cette duplicité des cadres et des hauts dirigeants du Pdci qui a failli l’emporter avec la crise de KKB (ndlr Kouadio Konan Bertin). Chaque fois, ces situations portent un coup à la cohérence et à la stabilité du Pdci. S'il y a création du parti unifié avec la signature de Bédié, ça peut encore créer d’autres crises. La pression est forte à cause du renouvellement de la classe politique. Les jeunes cadres du Pdci comme les KKB, Yasmina Ouegnin, estiment que c’est à eux de pouvoir intervenir pour que le Pdci puisse rester un pari.
En réalité, le parti unifié, c’est la mort du Pdci quoi qu'on dise. Puisque si vous rentrez dans le parti unifié, vous formez qu’un seul parti. L’accord politique récemment paraphé par les présidents du Rhdp est la première étape du processus, c’est comme un contrat. Quand on finit de signer l’accord politique, conformément à la loi de 93, on constitue les papiers avec la liste des membres fondateurs, on fait le dossier et on dépose au ministère de l’Intérieur. Le papier qui sort du ministère de l’Intérieur on ne demande plus la signature de M. Bédié. Le papier qui crée est signé par le ministre de l’Intérieur.
La seule chose que M. Bédié peut faire pour ne pas faire partie du parti unifié Rhdp, c’est de ne pas participer à l’Assemblée générale constitutive, c’est-à-dire à la réunion qui crée formellement le parti unifié. Aujourd'hui, la seule étape qui reste à M. Bédié de refuser le parti unifié, c’est de ne pas participer à l’Assemblée générale constitutive qui crée le parti unifié.
Qu'est-ce qui pourrait garantir la stabilité du parti unifié après sa création ?
Quand vous rentrez dans le parti unifié, il y a ce qu'on appelle dans le fonctionnement des partis le centralisme des décisions. On vous permet des débats à l’intérieur mais quand une décision est prise, vous êtes tous obligés de vous y soumette. Si les gens vont au parti unifié que c’est un candidat Rdr (Rassemblement des républicains, pouvoir) qui a gagné, tout le monde est obligé de supporter le candidat Rdr. Le parti unifié s’il est créé, les jeunes cadres du Pdci qui ont espéré un jour venir aux affaires se rendent compte que c’est leur mort politique parce qu'ils seront phagocytés par le Rdr qui a le levier du pouvoir présentement. Le parti unifié est plus profitable à la vielle classe politique qu'aux jeunes. Donc, aujourd'hui, c’est une crise générationnelle.
Les jeunes du Pdci ne sont pas sûrs que s’ils restent dans le parti unifié ils auront leur chance de venir au pouvoir. Ces jeunes sont fatigués de se contenter des postes ministériels. Le parti unifié est une stratégie de gouvernance, on y voit un régime en place qui veut conforter sa pérennité.
Qu' est-ce qui coince au niveau de l’alternance pour 2020 ?
M. Cissé Bacongo (un cadre du Rdr) a une fois fait une déclaration devant les jeunes du Rdr insinuant que des gens avec qui ils sont en train de diriger, et qui disent levez-vous on va s’asseoir. La question qu'il se pose, c’est qu’elle offre politique ? En réalité, le Pdci s’est embourbé dans une situation et aujourd'hui il a des difficultés pour s’en sortir. Un parti qui veut venir au pouvoir ne se compromet pas. Le Pdci est aujourd'hui au pouvoir, gère le pouvoir avec le Rdr, c’est leur accord de 2005 qui le dit : acquérir le pouvoir et le gérer ensemble.
Vous ne pouvez pas voir le Rdr laisser son pouvoir, c’est extraordinaire. Dans nos pays africains, on a des régimes patrimoniaux, à la limite, le parti unifié, on risque d’avoir le parti État. Quand on est dans une situation de parti État, lorsque les postes des hautes fonctions de l’Etat sont conditionnés ou rattachés aux partis politiques, vous vous rendez compte que vers la fin, ce qu'on appelle les primaires ne seront pas des primaires parce qu’au fur et à mesure on va vers le choix ou un plébiscite des personnes.
Ceci dit, au niveau interne il n’y aura pas de problème pour ceux qui vont adhérer. Tous les partis qui participent à la gestion du pays sont des partis gestionnaires. Ils vont trouver des mécanismes internes et trouveront des arrangements. Ils peuvent avoir des ambitions mais ils seront seulement opposés à des partis révolutionnaires ou aux partis protestataires.
N’avez-vous pas le sentiment que le Pdci va jouer le jeu jusqu'en 2020 et ne pourrait pas adhérer au parti unifié Rhdp ?
Oui, c’est possible parce que si le président Ouattara est en train de demander qu’on accélère la création du parti unifié, c’est fort possible mais en réalité, ça va laisser le temps à M. Bédié de gérer la crise interne. Et sa signature étant déjà apposée sur le document de l’accord politique, il a tout le temps de revenir au parti unifié. Si le parti unifié est créé sans le Pdci, cela va donner à M. Ouattara toute la latitude de montrer à M. Bédié ce que le Pdci perd. Déjà, il y aura un gouvernement qui va exclure tous les ministres du Pdci. M. Ouattara l’a dit au 4ème Congrès du Rdr on gouverne ensemble ou on ne gouverne pas ensemble. Si les cadres du Pdci sont limogés M. Bédié peut jouer là-dessus et puis à la fin revenir au parti unifié, en ce moment il aura étouffé toutes les velléités de sa contestation.
Peut-on imaginer une coalition entre le Pdci et le Fpi si le Pdci veut à tout prix le pouvoir ?
Le Fpi (Front populaire ivoirien, parti de l’ex-président Laurent Gbagbo) n’est pas une force politique sur laquelle on peut compter. Il ne constitue pas un allié sûr. Si M. Bédié discute avec les cadres du Fpi c’est pour mettre la pression sur leur alliance politique. C’est un parti d’opposition qui depuis sept ans n’a pas fait son travail. En dépit des problèmes, un parti doit garder sa stratégie de mobilisation. Aujourd'hui le Fpi existe que de nom. Il peut avoir une alliance, mais ça m’étonnerait qu’elle puisse prospérer parce que M. Bédié est pour le parti unifié, seulement c’est la stratégie qu'il est en train de rechercher pour amener les cadres de son parti à y adhérer pleinement.
AP/ls/APA
Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci)