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Bénin : Patrice Talon, de la "rupture" à une présidence autoritaire
03/05/2019
Source : France24
Bénin : Patrice Talon, de la "rupture" à une présidence autoritaire
Élu président du Bénin en 2016 sur le thème de la "rupture", considéré comme un visionnaire par l’élite du pays, Patrice Talon, qui aurait été marqué par sa rencontre avec le président rwandais Paul Kagame, a peu à peu durci sa politique.
Arrivé au pouvoir en 2016 avec une image de businessman ambitieux fonceur et moderniste, le président du Bénin, Patrice Talon, est désormais accusé d'avoir engagé le pays dans un tournant autoritaire.
Ses détracteurs reprochent au chef de l'État un autoritarisme tardif qui ne passe pas inaperçu dans ce petit pays de 12 millions d'habitants longtemps cité en modèle de démocratie en Afrique. Chez ses opposants comme au sein de la société civile, on l'accuse d'être derrière l'exclusion des grands partis d'opposition – officiellement évincés pour n'avoir pas respecté le nouveau code électoral – lors des législatives du 28 avril.
Des ONG béninoises ou internationales comme Amnesty dénoncent des "arrestations arbitraires", "des manifestations réprimées" avant le scrutin, la coupure d'Internet le jour du vote.
Tout avait pourtant bien commencé. Entrepreneur béninois en vue dont le patrimoine s’élève à plus de 400 millions de dollars en 2015, selon le magazine Forbes Afrique, Patrice Talon n'est pas du genre à s'excuser d'être riche. L’homme a construit sa fortune et sa réputation lorsqu’il dirigeait un empire agro-industriel incluant un quasi-monopole sur la filière coton et le contrôle du Port autonome de Cotonou.
Un parcours de "golden-boy" qui s’est brutalement interrompu après son implication présumée dans une affaire digne des plus grands polars. Longtemps proche de l’ancien président Boni Yayi, dont il avait financé les deux campagnes présidentielles en 2006 et 2011, le "roi du coton" est ensuite devenu l'ennemi numéro un du pouvoir pour des malversations supposées. D’abord accusé d’avoir détourné plusieurs millions de dollars dans le cadre de ses fonctions, Patrice Talon fut ensuite soupçonné d’avoir tenté d’empoisonner le chef de l’État sortant, puis d’attaquer l’avion présidentiel.
"Obsédé par les résultats"
Exilé plusieurs années à Paris, Patrice Talon a attendu que Thomas Boni Yayi lui accorde son pardon pour effectuer son retour au pays et se lancer dans la course à la magistrature suprême. Fort de la haine qu’il suscite au palais présidentiel, il se présente alors comme le candidat à même de tourner la page Yayi, qui symbolise tout ce que le businessman déteste : une vieille garde gangrénée par "les affaires", l'immobilisme, et pire que tout le laisser-aller.
Reste que parmi ses soutiens, beaucoup venaient du sérail, selon l’hebdomadaire Jeune Afrique : un beau-frère de Boni Yayi (Marcel de Souza), mais aussi quatre anciens ministres (Napondé Aké, Nassirou Bako Arifari, Kogui N’Douro, Pascal Koupaki) ainsi qu’un ex-conseiller du président (Chabi Sika).
Aujourd’hui âgé de 61 ans, le président béninois veut représenter une nouvelle génération de leaders : ceux qui sont persuadés que le continent rattrapera son retard lorsque les Africains eux-mêmes seront convaincus qu'ils peuvent y arriver. "Il veut changer les mentalités", explique à l'AFP son conseiller en communication, Wilfried Houngbedji.
"Obsédé par les résultats", comme il l'a confié dans une interview, il a renvoyé des dizaines de fonctionnaires à la moindre faute ou s'ils tentaient de faire ce qu'ils avaient toujours fait : récupérer quelques bakchichs pour arrondir les fins de mois.
Sur le plan économique, le Bénin affiche une belle croissance de 6,8 % en 2018, grâce à une formalisation à marche forcée de l'économie informelle, qui représente la quasi-totalité des sources de revenus de la petite classe moyenne ou pauvre.
Son cercle restreint est composé d'une poignée de conseillers et de son épouse qui joue un grand rôle. Ceux qui travaillent à ses côtés, souvent extérieurs à la sphère politique ou issus de la diaspora, se sont ralliés, séduits par son ambition pour le Bénin.
"C'est son orgueil mal placé et son esprit de vengeance malsain qui l'animent"
Mais trois ans après son arrivée au pouvoir, si l'élite continue de voir en lui un visionnaire, il est détesté par la classe populaire qui lui reproche son arrogance.
Désormais, chez les intellectuels et même dans le secteur privé, on s'interroge, les inculpations constantes des opposants, les mesures d'intimidation contre des voix de la société civile dérangent. Avait-il besoin de créer une cour spéciale pour éliminer son plus grand adversaire politique, aujourd'hui en exil, Sebastien Ajavon ?
"Ils ne comprennent plus jusqu'où il va aller. C'est son orgueil mal placé et son esprit de vengeance malsain qui l'animent, c'est dangereux", estime un de ses anciens proches.
Selon des politologues et observateurs du pays, Patrice Talon n'aurait également pas supporté de voir son projet de réforme constitutionnelle retoqué deux fois par le Parlement. Il voulait être le premier président africain à instaurer un mandat présidentiel unique de sept ans. Pour l'opposition, un moyen de rester au pouvoir. Aujourd’hui, tout le monde attend que les 83 députés issus de la majorité votent le texte.
Pour l'un de ses anciens collaborateurs, la direction donnée à sa présidence a été fortement marquée par sa rencontre avec le président rwandais Paul Kagame trois mois après son arrivée au pouvoir. "Il voulait axer son mandat sur un modèle politique charismatique, il l'a trouvé en Kagame", explique cette source.
La comparaison est constante avec Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000 et réélu en 2017 avec 99 % des voix, qui a engagé son pays dans un développement accéléré, devenu un leader autant respecté que craint chez lui, davantage qualifié de despote éclairé à l'extérieur.
Mais pour l'instant, l'entourage de Patrice Talon hésite à entretenir cette comparaison aussi flatteuse qu'elle est embarrassante.
Bénin : Patrice Talon, de la "rupture" à une présidence autoritaire