Selon des infomations du Parisien, Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Michel Barnier sont cités à comparaître dans le procès du bombardement de Bouaké en Côte d’Ivoire en novembre 2004. Ils sont accusés par les avocats des familles des victimes d’avoir empêché la manifestation de la vérité sur les vrais commanditaires de l’acte .
C'est un rebondissement inattendu pour les familles des victimes dans l'instruction judiciaire sur le bombardement du camp français de Bouaké, attribué à l'armée ivoirienne en novembre 2004 en Côte d'Ivoire, au plus fort de la crise politique ivoirienne qui avait éclaté en 2002. Le pays était alors coupé en deux, partagé entre les troupes rebelles de Guillaume Soro, au nord, et les forces de l'armée régulière, au sud, fidèles à Laurent Gbagbo.
Selon des informations révélées par Le Parisien, Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Michel Barnier, respectivement chargé de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères à l'époque, ont été convoqués comme témoins lors d'un procès inédit qui doit débuter le 17 mars à Paris et qui est prévu pour durer trois semaines.
Trois pilotes, un Biélorusse et deux copilotes ivoiriens, qui pilotaient les avions d'attaque Sukhois de l'armée ivoirienne qui ont largué une dizaine de roquettes sur le lycée Descartes réquisitionné par l'armée française, seront jugés lors du procès par contumace par la cour d'assise.
Le bombardement avait fait 9 morts dans le rang des soldats français et 38 blessés. Mais les avocats des familles des victimes s'interrogent sur le rôle trouble du gouvernement français dans l'affaire. Car la France avait réussi à appréhender par deux fois les mercenaires incriminés avant de les relâcher.
"Ordre m'a été donné de les libérer"
Une première fois, raconte Le Parisien, l'armée française après avoir pris le contrôle de l'aéroport d'Abidjan met la main sur une quinzaine de personnes d'origine slave. Vraisemblablement des mécaniciens qui ont travaillé sur les avions de chasse. Ils sont photographiés avant d'être remis plus tard au consul de Russie.
"Ordre m'a été donné de les libérer", se dédouanera le général Poncet qui dirigeait l'opération Licorne. "J'ai appelé Paris. J'ai reçu instruction du quai d'Orsay, du ministre Michel Barnier, de les libérer immédiatement", explique aussi Gildas Le Lidec, alors ambassadeur de France en Côte d'Ivoire.
Dans le même temps, à Yamoussokro, les copilotes reconnus comme auteurs du raid aérien sont filmés par les services français quittant leur avion pour l'hôtel.
Quelques jours plus tard, la France laisse filer huit ressortissants biélorusses se présentant comme des mécaniciens agricoles, arrêtés au Togo et arrivés de Côte d'Ivoire. Leur présence est signalée dans une note par le ministère de l'Intérieur du pays à l'ambassade de France. Cette dernière informe la direction du renseignement militaire française puis l'état-major des armées qui ne réagit pas.
Les autorités françaises accusées d'avoir étouffé l'affaire
Mais qui a donné l'ordre de libérer les mercenaires ? Pourquoi ? L'État français avait-t-il organisé ce bombardement pour en faire porter la responsabilité à l'armée ivoirienne dans le but de faire chuter Laurent Gbagbo ? Des questions que se posent dans son livre à charge, "Crimes sans châtiment" (éditions Max Milo), Jean Balan, l'un des avocats des familles des victimes qui accusent les trois ministres d'avoir étouffé l'affaire.
Dans une interview accordée à RFI, jeudi, l'avocat estime que les autorités françaises savaient que "ce n'était pas Gbagbo qui avait donné l'ordre". Pour l'avocat, les autorités françaises du gouvernement de l'époque "ont absolument tout fait d'une manière concertée – ce n'est pas moi qui le dis, c'est la juge d'instruction qui le dit –, elles ont fait en sorte que l'enquête judiciaire ne puisse pas prospérer depuis 2004. Et dans ces conditions-là, on a été toujours empêché de reprendre le fil pour voir qui a été le donneur d'ordre."
Ce n'est pas la première fois que la responsabilité des trois ministres est engagée dans l'affaire du bombardement. Au terme de son instruction en 2012, la juge Sabine Khéris avait demandé à leur encontre des poursuites judiciaires. Mais en 2019, la Cour de justice de la République, seule compétente pour juger les ministres en exercie avait estimé qu'aucune preuve tangible ne montrait le rôle actif des ministres dans l'affaire.
Des soldats français se lavent parmi les débris du Lycée Descartes détruit le 10 novembre 2004 à Bouaké et qui servait de camp militaire. © Phiippe Desmazes, AFP (archives)