Les militaires n’en peuvent plus de se taire. Ils sont assaillis par les problèmes d’équipements et de logistique. A leur corps défendant, ils se confient à la presse, pour que des solutions soient trouvées à leurs problèmes.
Le ministère de la Défense a décidé d’aller en guerre contre les militaires qui s’expriment dans la presse. Pourtant les concernés, dépités par leurs difficultés, n’ont généralement d’autre choix que leur voix pour se faire entendre.
Loin de nous toute idée d’encourager la violation de la discipline militaire. Nord-Sud Quotidien n’agira jamais contre le bon fonctionnement de l’armée nationale. Bien au contraire, c’est dans l’intérêt de cette institution qu’il nous arrive parfois d’ouvrir nos colonnes à des soldats du rang ou des officiers prêts à s’exprimer. Généralement, ces interlocuteurs se retrouvent dans l’obligation d’évoquer publiquement des problèmes qui engagent la stabilité de la grande muette, et qui, pour des lourdeurs ou des négligences, n’ont pas trouvé de solution par les voies de communication internes. L’un des exemples les plus éloquents, et des plus récents, est la grogne autour des primes de missions que nous relayions le vendredi 25 octobre.
Ce jour-là, votre quotidien s’est fait l’écho du mécontentement des militaires face au non-paiement de frais de missions qu’ils ont effectuées pour le compte du ministère de la Défense. Les hommes en armes qui nous ont approchés ont voulu, par cette alerte, prendre à témoin l’opinion nationale et internationale, avant la suite qu’ils se réservaient de donner à ce qu’ils considéraient comme une rétention de leur dû. Ils attendaient trois mois d’arriérés de per diem. Une dette qu’ils ne comprenaient pas, d’autant que leurs frères d’armes, gendarmes ou marins, qui ont participé aux mêmes missions à l’intérieur du pays, avaient déjà perçu leurs gratifications.
Et selon des informations confirmées plus tard par les services de Paul Koffi Koffi, il arrive que les frais de missions de la gendarmerie, en particulier, soient payés avant le départ d’Abidjan. Au ministère de la Défense, après trois mois d’attente, les paiements n’ont commencé que la semaine où l’article est paru. Les plaignants avaient certainement compris que la presse était le meilleur moyen d’obtenir gain de cause.
Si le fait d’avoir porté leur voix a contribué au déblocage de cette situation, nous pensons mériter la reconnaissance des hautes autorités du pays, pour avoir évité au sein de l’armée une révolte pour primes impayées. Le lendemain, c’est-à-dire le 22 octobre, votre canard revenait sur la fusillade entre soldats à la caserne de la Brigade anti-émeute (Bae), à Yopougon. Pour la première fois, les proches du lt. Koné Boulamani, principal mis en cause dans cet affrontement interne, ont pu donner leur version des faits.
Ils ont expliqué, avec douleur, la retenue qu’ils se sont imposée ce jour-là, afin d’éviter que les échauffourées tournent au bain de sang. Selon leur récit, après leur avoir imposé toutes sortes de sévices durant des mois, les responsables du camp, qui ne semblent pas admettre leur présence sur place, ont ouvert le feu sur eux. Cette thèse n’a jamais été démentie jusqu’à ce jour. Pourtant elle est totalement contraire à la version officielle. Celle-ci a présenté l’évènement comme le soulèvement d’éléments qui s’opposaient au relèvement de leur chef, en l’occurrence le lt Boulamani, accusé de protéger des militaires présumés braqueurs. Se sentant victimes d’une grosse injustice, et n’ayant pas une oreille attentive auprès des patrons de l’armée, ils ont choisi de vider leur frustration dans la presse. C’était cela ou la vengeance, tôt ou tard, vis-à-vis de ceux qui ont voulu les humilier.
Là encore, Nord-Sud Quotidien aura contribué à apaiser une situation explosive au sein de la grande muette. Le soulagement que de nombreux soldats nous ont témoigné après cette publication en est une preuve. Les exemples sont légion.
Chaque jour, ayant constaté que nous pouvons être leur porte-voix, des militaires approchent la rédaction pour partager des préoccupations devant lesquelles les autorités militaires restent muettes et aveugles malgré les rapports de leurs subalternes. Parmi ces soucis, le manque de moyens logistiques dont souffrent les soldats ciblés par les assaillants dans différentes régions du pays.
Ce n’est donc pas de gaieté de cœur que des militaires ont souvent recours aux médias. Ils n’auront plus besoin de suivre cette voie si les canaux internes fonctionnent correctement, et si les problèmes sont traités avec sérieux. Car la censure au sein de l’armée ivoirienne, nous journalistes, en savons beaucoup. Il suffit de vouloir recouper une information auprès des services de presse du ministère de la Défense, ou des différents commandements. Quelle lourdeur ! Quand vous avez la chance d’avoir un interlocuteur, soit ce porte-parole est incapable de vous répondre, soit il ne souhaite pas être cité, de peur de subir des représailles au sommet. Quelle est cette armée où l’on veut tout cacher ?
Cissé Sindou
Ces vérités qu'on cache à Ouattara: Pourquoi les militaires ne veulent plus se taire - Photo à titre d'illustration