Du Burkina Faso au Cameroun, en passant par la Côte d'Ivoire et la République démocratique du Congo, l'Afrique subsaharienne se jette sur la chloroquine, un médicament bien connu sur le continent, où le coronavirus a déjà tué au moins 190 personnes. Et ce, alors même que l'efficacité de ce traitement et de ses dérivés est encore loin d'être prouvée.
Des hôpitaux sénégalais aux pharmacies de rue camerounaises, en passant par des entreprises pharmaceutiques sud-africaines, l'Afrique subsaharienne, désarmée face au coronavirus, se rue sur la chloroquine, un médicament bien connu des Africains.
Ce traitement et ses dérivés comme l'hydroxychloroquine, utilisés durant des années pour soigner le paludisme sur le continent, suscitent beaucoup d'espoir dans le monde. Mais leur efficacité est encore loin d'être prouvée et leur généralisation divise la communauté scientifique.
Si l'OMS a appelé à plusieurs reprises à la prudence, sur le continent africain qui ne dispose que de peu de moyens pour lutter contre le virus, les autorités n'ont pas hésité longtemps.
Au Burkina Faso, au Cameroun, en Afrique du Sud, par exemple, les gouvernements ont rapidement autorisé les structures hospitalières à traiter les malades avec cette molécule. Et une grande étude, à l'image de celle du désormais célèbre professeur français Didier Raoult, a été lancée en Afrique du Sud.
Au Sénégal, près de la moitié des personnes contaminées se sont déjà vu prescrire l'hydroxychloroquine, indiquait le 26 mars à l'AFP le professeur Moussa Seydi de l'hôpital de Fann à Dakar. Tous les malades ont accepté, "sans aucune exception", précisait-il.
Un engouement tel qu'en République démocratique du Congo (RDC), le président Félix Tshisekedi a déclaré la semaine dernière qu'il était "urgent" de produire la chloroquine "en quantité industrielle". En Afrique du Sud, l'une des plus grosses entreprises pharmaceutiques a promis de donner 500 000 tablettes aux autorités sanitaires.
"Si on venait à prouver que la chloroquine était efficace, l'Afrique, qui importe la majorité de ses médicaments, ne serait peut-être pas la priorité des industries", souligne Yap Boum, le représentant Afrique d'Epicentre, la branche recherche de l'ONG Médecins sans frontière (MSF).
La peur de manquer
La France a ainsi interdit l'exportation du médicament tandis que le Maroc a réquisitionné tous ses stocks.
Une peur de manquer qui se propage jusque dans la rue. "Dans les pharmacies de Yaoundé, vous n'en trouverez plus, il y a rupture de stock", ajoute Yap Boum. "Les habitants en ont acheté, apparemment sans ordonnance, ce qui est dangereux", se désole-t-il.
Au point qu'au Cameroun, le gouvernement a publié une note demandant aux professionnels de santé de ne "pas céder à l'appât du gain" et de ne "pas prescrire" le médicament à titre préventif.
Dans plusieurs grandes villes africaines, comme à Abidjan (Côte d'Ivoire) ou encore à Luanda (Angola), les habitants se sont rués dans les pharmacies pour récupérer des plaquettes. Le même phénomène a été observé au Malawi, où aucun cas n'a été annoncé officiellement.
Au Gabon, à Libreville, les files d'attente devant les officines s'allongent aussi, au grand dam d'Armelle Oyabi, présidente d'une association de personnes atteintes du lupus, une maladie auto-immune qui se traite avec l'hydroxychloroquine.
Depuis samedi, elle fait le pied de grue derrière le comptoir de la seule pharmacie qui dispose encore d'un stock. "Je vérifie que le médicament est bien délivré à ceux qui en ont besoin", explique-t-elle. "Sans ce traitement, nous sommes non seulement fragilisés par le lupus, mais encore plus vulnérables face au coronavirus."
Automédication dangereuse
Les experts s'inquiètent de cette frénésie populaire et redoutent une automédication. "Pour les personnes cardiaques, cela peut être fatal", prévient le professeur Boum. Quant aux "surdosages, ils peuvent entraîner la mort", renchérit Alice Desclaux, médecin-anthropologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) au Sénégal.
En France, l'Agence du médicament (ANSM) a averti, lundi 30 mars, que les traitements testés contre le Covid-19 pouvaient entraîner des effets indésirables graves et ne devaient "en aucun cas" être utilisés en automédication, alors que trois décès potentiellement liés à ces traitements ont été signalés.
Au Nigeria, des patients empoisonnés à la chloroquine ont été admis la semaine dernière dans deux hôpitaux de Lagos.
Pour s'en procurer illégalement, les Africains peuvent toutefois se tourner vers les apothicaires de rue. "La chloroquine a toujours été présente dans le circuit informel en Afrique", explique le Dr Desclaux, qui ajoute : "Elle est encore utilisée pour provoquer des avortements" ou pour tenter de se "suicider".
Dans une pharmacie clandestine d'un quartier de Douala (Cameroun), Lucien, le gérant, avoue avoir déjà vendu son stock : "Les clients en réclament, mais elle n'est pas disponible immédiatement, il faudra passer commande."
"Attention, les prix ont augmenté", avertit le commerçant : le comprimé est désormais vendu 65 centimes d'euros, quatre fois plus cher qu'il y a quelques semaines.
Un peu plus loin, une institutrice sexagénaire concède en avoir acheté la semaine dernière : "J'en garde au cas où", dit-elle.
Vraie ou fausse chloroquine ? Impossible de savoir, mais son attrait "va alimenter le marché noir et les faux médicaments", assure le professeur Boum.
Mardi, déjà, les autorités camerounaises ont annoncé que de la fausse chloroquine était en circulation dans le pays, et avait notamment été retrouvée... dans certains centres de santé.
Avec AFP
Coronavirus : l'Afrique subsaharienne se rue sur la chloroquine - Photo à titre d'illustration