SAN PEDRO, 26 novembre 2013 (AFP) - La lueur des phares point au loin, avant que ne vrombissent les moteurs des Harley Davidson. Dans les villages africains, tout le monde se retourne: les Elephant's bikers, sorte de Hells Angels à la sauce ivoirienne, sont de sortie.
La scène est surréaliste, le contraste extrême. L'opulence des chromes nord-américains croise le dénuement des campagnes ouest-africaines. Les Harley rencontrent des mobylettes tremblotantes. Sans provoquer le moindre malaise. Ce week-end de novembre, les bikers ivoiriens font leur grande balade annuelle, reliant cette année Abidjan à San Pedro, le grand port industriel de l'ouest de la Côte d'Ivoire.
Tout le long de la route, qui traverse villages, champs d'hévéa et palmeraies, des marcheurs, hommes, femmes ou enfants, s'égosillent, sourient, bondissent parfois au passage des motards. Une foule compacte s'amasse autour de la trentaine d'engins lors d'un ravitaillement à mi-chemin. De jeunes vendeurs de "sucreries" (sodas) photographient les Harley avec leurs portables fatigués.
Les villageois qui vivent parfois sans électricité, conversent avec les motards. "Ce n'est pas parce qu'on est dans un pays sous-développé qu'on ne peut pas partager ce genre de choses", observe un des bikers, Landry Ouegnin, 34 ans. "On fait partager un plaisir, un rêve. Les gens s'identifient à ça. Ils voient que c'est accessible. Ce n'est pas qu'à la télé", observe ce chef d'entreprise ivoirien, un des responsables de ce club de motards invétérés.
Les Elephant's bikers, un club créé il y a 10 ans pour le centenaire de la marque américaine, sont au total une cinquantaine, plus de la moitié Ivoiriens, le reste expatriés, dont certains naturalisés. Ils se retrouvent le week-end pour de courtes virées et une ou deux fois l'an pour un plus long voyage.
Tous arborent les signes distinctifs d'une meute telle qu'on l'imagine aux Etats-Unis: bandanas dans les cheveux, têtes de mort omniprésentes, habits en cuir rehaussés du logo Harley ou de celui de leur club, un éléphant chaussé de santiags juché sur un gros cube.
Un "déguisement" gage d'un "esprit de confrérie", que l'on retrouve dans tous les groupes du genre éparpillés aux quatre coins du globe, souligne leur président Jackie Thelen, un Français devenu Ivoirien. Car la Harley au-delà de la moto, "réunit des gens autour d'une passion".
"Vous verrez facilement un gros patron arriver avec des jeans troués, des ceinturons, des têtes de mort, alors qu'il représente une société très cotée. C'est ça le paradoxe chez Harley Davidson", explique le chef d'entreprise de 52 ans, qui arbore un anneau à l'oreille gauche.
En Côte d'Ivoire, les bikers sont tout sauf des bad boys. Frais de transport et d'importation depuis l'Europe ou les Etats-Unis obligent, la plus petite monture a coûté 4 millions de francs CFA (plus de 6.000 euros) à son propriétaire, la plus onéreuse 25 (38.000 euros).
Des sommes bien éloignées du quotidien des Ivoiriens, dont la moitié vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le salaire moyen mensuel est passé récemment à 60.000 francs CFA, soit 91 euros.
Pour tenter de combler ce fossé, les bikers aident parfois les habitants qu'ils rencontrent par des dons aux villages, à des écoles, des dispensaires.
Si certains membres, plus désargentés, ont "monté leur bécane eux-mêmes", selon Landry Ouegnin, la plupart sont aisés. Et quelques uns très riches.
Un fils de l'ancien président de la République Henri Konan Bédié fait partie de la virée. Un conseiller ministériel est membre du groupe. Sécurité des VIP oblige, un 4x4 transportant des gendarmes suit le cortège et fait au besoin la circulation.
Arrivée à San Pedro, après 400 kilomètres d'un périple à 90 km/h de moyenne, commencé sous la pluie, sur une route asphaltée criblée de nids de poule, la troupe, poussiéreuse, est tout sourire.
"C'était génial!", s'écrie Gérard Lokossou, pour sa première sortie avec les Elephant's bikers, qu'il n'a pas encore rejoint.
Ce directeur commercial de 41 ans se rend chaque année aux Etats-Unis pour rouler avec un groupe de passionnés du genre dans le New Jersey. Il a retrouvé en Côte d'Ivoire le même "plaisir" de rouler que là-bas.
"Ca m'a permis de découvrir une partie du pays que je n'avais pas vue sous cet angle-là", se réjouit-il. Derrière lui, le personnel de l'hôtel où réside la bande filme leur arrivée, les yeux écarquillés.
Par Joris FIORITI
Côte d'Ivoire: à la découverte des Easy riders africains. - Photo à titre d'illustration