Comment concilier la volonté de décrisper le climat politique, préalable à une véritable réconciliation nationale, et celui d’agir conformément à la justice républicaine en permettant à celle-ci de faire son travail, notamment dans le dossier de la crise post-électorale en côte d’Ivoire ?
Tel est le dilemme déchirant auquel fait face en ce moment le président Alassane Dramane Ouattara.On se rappelle en effet que cette crise, née du refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire de son rival à l’issue de l’élection présidentielle de 2010, avait coûté la vie à des milliers d’Ivoiriens ainsi qu’à de nombreux ressortissants des pays voisins de la Côte d’Ivoire.
Les autorités ivoiriennes n’ont pas encore donné suite à la demande de la CPI, mais la lenteur à répondre à l’instance onusienne, traduit tout le malaise des dirigeants ivoiriens qui mesurent bien les conséquences aussi politiques que sociales d’un probable transfèrement de l’ex-général de la rue
Alors que l’arrestation et le transfèrement de Laurent Gbagbo continue de diviser les Ivoiriens, la CPI vient de « réitérer au gouvernement ivoirien, sa demande de transfèrement de Blé Goudé, ex-leader des jeunes patriotes » et ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo. Les autorités ivoiriennes n’ont pas encore donné suite à la demande de la CPI, mais la lenteur à répondre à l’instance onusienne, traduit tout le malaise des dirigeants ivoiriens qui mesurent bien les conséquences aussi politiques que sociales d’un probable transfèrement de l’ex-général de la rue.
La justice ivoirienne qui poursuit Blé Goudé « pour crimes de guerre », se dit compétente pour le juger sur le sol ivoirien, tout comme elle a décidé de juger Simone Gbagbo, l’épouse de Laurent Gbagbo. D’autre part, en jugeant Blé Goudé sur le sol ivoirien, le gouvernement ivoirien entend tirer parti de la dimension pédagogique de ce procès. En effet, juger l’ex-général de la rue loin de la Côte d’Ivoire, n’offre pas un impact psychologique utile à la jeunesse ivoirienne. Quelques esprits malins pourraient chercher à en faire un autre « martyr ».
Alassane Ouattara doit bien y réfléchir avant de vouloir coûte que coûte juger Blé Goudé en Côte d’Ivoire
Le procès de Blé Goudé doit servir de thérapie de choc aussi bien pour désillusionner le dernier carré de ses partisans, que pour soulager les familles des victimes qui attendent toujours que justice leur soit rendue.
Cela dit, il ne faut pas non plus oublier que juger Blé Goudé en Côte d’Ivoire n’a pas que des avantages pour le peuple ivoirien. Cet homme a endeuillé tellement de familles en Côte d’Ivoire, que personne, pas même l’Etat ivoirien ne peut être sûr à 100% de pouvoir le mettre à l’abri d’éventuelles tentatives d’assassinat. Car si l’homme compte encore beaucoup de partisans inconditionnels, il n’en manque pas non plus qui voudraient voir plutôt sa tête au bout d’une corde que dans une résidence surveillée pudiquement appelée prison.
Cela ne manquera sûrement pas de ré-enflammer la mèche de la violence qui n’est pas encore totalement éteinte. Et puis, en termes de gain politique, la pédagogie prime-t-elle sur la paix civile ? Alassane Ouattara doit bien y réfléchir avant de vouloir coûte que coûte juger Blé Goudé en Côte d’Ivoire. Dans tous les cas, en Eburnie ou à la CPI, ce monsieur est désormais entre le marteau et l’enclume. Il s’agit maintenant de savoir quand le marteau lui tombera sur la tête.
Dieudonné Makiéni
Côte d’Ivoire: Blé Goudé entre le marteau et l’enclume - Photo à titre d'illustration