Il aura fallu quatre jours pour que les soldats issus de l’ex-rébellion obtiennent l’argent promis. A Bouaké, les organisateurs de la grogne racontent.
Le convoi s’élance. A bord des 4x4 et pick-ups, des représentants des autorités de Bouaké et une équipe de la télévision nationale ivoirienne, la RTI, invitée à témoigner du retour de l’ordre dans les rues de la deuxième ville de Côte d’Ivoire. L’opération est menée, ce mardi 16 mai, quelques heures à peine après que les soldats mutins ont annoncé mettre fin à plus de quatre jours de paralysie de la cité. Les autres villes affectées, dont Abidjan, retrouvent aussi le calme.
Arrêt à l’entrée nord de Bouaké. « Ce fut un moment difficile, mais nous remercions le gouvernement pour sa décision sage », déclare au bord de la route, solennel, le délégué de la préfecture, sous l’œil bienveillant de la caméra de la chaîne publique. En aparté, le soulagement des chefs de l’armée, de la gendarmerie et de la police est unanime. « Ça a été chaud, ils savent se battre, ces petits », constate l’un d’eux. « Nous avons eu peur car ils étaient très bien organisés », ajoute un autre. « Ils étaient décidés à aller jusqu’au bout pour avoir l’argent, et ils l’ont eu », enchaîne un troisième.
« Ils ont cru que nous étions des novices »
Attablé à la terrasse d’un café, le lendemain, un organisateur de la mutinerie affiche sa satisfaction. « Au début, ils ont cru que nous étions des novices, ils nous ont pris à la légère », sourit Alassane Coulibaly (tous les noms ont été changés). C’est depuis Bouaké, épicentre de la contestation, que s’est construit le succès des ex-rebelles pour obtenir du gouvernement le paiement de leurs primes. Comme l’ont raconté au Monde Afrique plusieurs coordinateurs de la mutinerie, ce mouvement de protestation a été mené « comme une opération militaire, gage d’efficacité ».
Sa force s’est nourrie d’une colère causée par une accumulation de promesses non tenues. Celle de la crise post-électorale de 2010-2011, lorsque les chefs de la rébellion nordiste, soutien d’Alassane Ouattara, ont fait miroiter « 12 millions de francs CFA [18 300 euros] et une villa » à leurs combattants de Bouaké pour aller « déloger Laurent Gbagbo » à Abidjan. Celle de cette année, lorsque le pouvoir, après avoir payé 5 millions de francs CFA à la suite d’une première mutinerie en janvier (quatre morts), a refusé de verser aux 8 400 anciens rebelles intégrés à l’armée les autres 7 millions pourtant annoncés.
Celle, enfin, du 10 mai, lorsqu’une quarantaine de représentants des mutins, convoqués à Abidjan par les autorités, ont renoncé au reste de l’argent. « Des délégués nous ont dit qu’ils avaient été forcés d’accepter, sous peine de sévères représailles. D’autres ont sans doute été achetés, mais ce sont tous des traîtres », tonne Ousmane Camara, un des mutins rencontrés à Bouaké. Les soldats n’ont plus confiance en personne. « Nous nous sommes organisés sans chef, explique le sous-officier, et nous utilisions entre nous un mode de communication spécifique. » « Leurs mots d’ordre circulaient en moins de cinq minutes », confie une source sécuritaire, impressionnée.
« On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs »
Le coup d’envoi de la mutinerie a été donné dans la nuit du 11 au 12 mai. « Notre stratégie était pacifique : paralyser les casernes et tirer en l’air pour faire entendre notre mécontentement », explique l’ancien rebelle Ibrahim Touré. Les mutins démentent toute arrière-pensée politique. « Nous n’étions pas là pour faire un coup d’Etat ou quoi que ce soit, nous voulions simplement notre argent », insiste Alassane Coulibaly...
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