"Celle-là, je ne la rendrai pas!" Kalachnikov rouillée à la main, Etienne, un ancien rebelle ayant aidé Alassane Ouattara à accéder au pouvoir en 2011, refuse de participer à l'opération de désarmement, qui entame sa dernière ligne droite en Côte d'Ivoire.
Avec un millier de ses compagnons d'armes, Etienne (un prénom d'emprunt) occupe la caserne de la Brigade anti-émeutes de Yopougon, un quartier d'Abidjan meurtri par la crise postélectorale de 2010-2011.
L'occupation, qui vise à obtenir de l'Etat des compensations - logement, intégration dans les forces de sécurité, argent... -, dure depuis quatre ans.
Mais Alassane Ouattara a douché leurs derniers espoirs la semaine dernière. "Tous les ex-combattants qui sont encore dans les camps militaires" doivent "libérer ces espaces avant le 30 juin 2015", a-t-il lancé, ajoutant qu'il n'y aurait "plus de recrutement dans l'armée".
Régler le problème des anciens rebelles est devenu un enjeu majeur à six mois de la prochaine présidentielle, pour laquelle Alassane Ouattara fait figure de grand favori.
Ces éléments, pour beaucoup venus du nord du pays, l'avaient aidé à accéder au pouvoir en avril 2011, après quatre mois de crise et deux semaines de guerre contre les forces de l'ex-président Laurent Gbagbo, qui refusait de reconnaître sa défaite au scrutin de novembre 2010. Plus de 3.000 personnes avaient péri durant cette crise.
Si 13.000 ex-rebelles ont intégré l'armée, selon un expert sécuritaire, de nombreux autres continuent de sévir en Côte d'Ivoire. En décembre dernier, l'ONG Human Rights Watch les accusait d'être responsables de multiples attaques armées, parfois mortelles, dans le nord du pays.
"Je ne veux plus +faire palabre+ (me quereller) pour la politique", assure désormais Etienne, son fusil bien en évidence sur les genoux. Il dit en posséder deux autres.
"Mais si j'entends qu'un des mes amis ex-combattants a un problème, je n'hésiterai pas à revenir l'aider", ajoute-t-il fièrement, avant de quitter les lieux sur sa moto, la mitraillette à peine dissimulée dans un sac.
Selon Etienne, plus de 400 occupants de la caserne, dont une partie des bâtiments n'a jamais été achevée, garderont tout ou partie de leurs armes. D'autres ex-rebelles ont confirmé à l'AFP qu'ils ne rendront pas les leurs.
'Resocialisation'
Certains d'entre eux comptent ostensiblement leurs douilles, à quelques dizaines de mètres seulement des officiers de l'Autorité de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (ADDR), venus sur les lieux.
Pour les inciter à rendre l'intégralité des munitions, l'ADDR, une agence mandatée par le gouvernement, a fixé un quota: chacun doit restituer au moins 210 balles pour pouvoir bénéficier d'un accompagnement professionnel et financier. Mais cette approche à de gros ratés.
Zamblé, l'air sérieux, part à la rencontre des agents, un impressionnant collier d'une centaine de balles autour du cou. Faute d'en rendre suffisamment, il est toutefois éconduit, et s'en revient, les douilles bien en évidence, à la caserne. Ces munitions l'accompagneront dans son retour à la vie civile.
Quelque 53.000 ex-combattants sur 74.000 ont déjà été démobilisés, affirme à l'AFP le directeur de l'ADDR, Fidèle Sarassoro. Selon plusieurs experts, ces chiffres sont exagérés pour des raisons politiques.
Les bénéficiaires du programme, après un mois passé dans un site de "resocialisation", suivent au moins deux mois de formation professionnelle, payée 40.000 francs CFA mensuels (60 euros). Ils perçoivent une somme forfaitaire de 800.000 FCFA (env 1.200 euros) s'ils ne trouvent pas d'emploi.
"C'est un processus post-crise et la Côte d'Ivoire n'est plus dans une situation post-crise! C'est donc légitime que le gouvernement veuille en terminer avec le processus de désarmement", explique M. Sarassoro, selon qui 31.580 armes ont été collectées depuis le début du programme en 2012.
A Yopougon, au moins une cinquantaine d'occupants, sacs de grenades ou de munitions à la main, acceptent de jouer le jeu, faisant la queue devant le stand de l'ADDR alors qu'une équipe de l'AFP est présente.
Mais beaucoup s'estiment "trahis", se plaignant d'être chassés trop vite, sans compensation immédiate, après avoir "donné leur vie" pour l'actuel président.
"J'ai aidé Alassane Ouattara", peste Mohamed Coulibaly, lunettes de soleil vissées sur le front. "Aujourd'hui, en échange, je n'ai ni maison ni travail."
pid/jf/tmo
Photo à titre d'illustration