L’inauguration d’un centre commercial et d’un supermarché par un président de la République ferait sourire en Europe mais le président ivoirien Alassane Ouattara était bel et bien vendredi à Abidjan au lancement d’un centre Carrefour/PlaYce, symbole, pour les autorités, de l’émergence économique du pays et de l’augmentation du pouvoir d’achat des classes moyennes.
Le chef de l’Etat, réélu en octobre pour un deuxième mandat de 5 ans, avait d’ailleurs promis lors de son investiture de «travailler à l’amélioration de vos conditions de vie (des Ivoiriens)».
Le gouvernement a adopté début novembre une loi assimilant les investissements pour les centres commerciaux à des investissements industriels afin de favoriser leur implantation alors que d’autres projets d’autres marques sont à l’étude, de source proche du gouvernement.
Trouver ce qu’ils cherchent
D’un côut de 60 millions d’euros, le centre commercial PlaYce Marcory est désormais le plus grand du pays avec une superficie de 20.000 mètres carrés.
Il emploie au total 550 personnes directement et devrait générer 800 emplois indirects. Le groupe CFAO a dispensé 17.000 heures de formation pour ses employés qui travaillent dans 100 métiers différents, selon le groupe.
Attirée par les conditions de travail et les perspectives d’évolution, Anne Laetitia Dion, 26 ans, a abandonné ses études d’informatique pour travailler à la fromagerie. «Je n’y connaissais rien, avoue-t-elle, J’ai appris avec les formations et j’espère donner envie aux Ivoiriens de manger du fromage».
«Le développement de la grande distribution constitue un des facteurs déterminants pour le développement de l’emploi et la structuration des filières agro-alimentaires d’une économie émergente», souligne Richard Bielle, le pdg de CFAO dont le groupe ambitionne de créer 80 sites commerciaux dans 8 pays d’Afrique dans un futur proche.
Exemple de cette «structuration»: environ 170 fournisseurs se sont adaptés pour répondre au cahier des charges du distributeur français. Jean-Luc Middermacht, responsable du rayon boucherie, a notamment «dessiné et monté» avec un éleveur local «un abattoir». L’éleveur «s’est aussi équipé d’un camion réfrigéré. Au final, il va nous proposer un produit local qui répond en tout point à nos exigences de qualité à des prix abordables», explique M. Middermacht.
«On n’aura pas les prix de l’informel mais le but c’est de donner l’accessibilité à une certaine qualité au plus grand nombre», résume-t-il.
Au rayon boulangerie-pâtisserie par exemple, le supermarché va notamment proposer des produits à la crème au beurre, «très appréciés en Cote d’Ivoire», selon le chef boulanger Yannick Cucca, qui explique: «On fera du pain français évidemment mais l’idée c’est surtout que les gens trouvent ce qu’ils cherchent».
«L’Afrique entre de plain-pied dans la société de consommation qui était jusqu’ici réservée à une élite africaine qui voyageait», s’est félicité le ministre du Commerce Jean-Louis Billon.
Avant de se lancer «on a fait le constat que la distribution moderne en Afrique sub-saharienne était peu développée: moins de 5% du marché dans l’alimentaire» (surtout assurée par des boutiques de quartier), explique M. Bielle.
«Il y a des moments où les choses se passent; on croit que c’est maintenant! Dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, portés par des taux de croissance de 8-10%, les modes de consommation vont changer, une classe moyenne se développe».
Pas attendu Carrefour
«Le marché était dans une situation quasi-monopolisitique. L’arrivée de Carrefour va secouer le cocotier et tirer les prix à la baisse», souligne un observateur.
Deux autres groupes, la Compagnie distribution de Côte d’Ivoire (CDCI) et Prosuma, qui n’ont pas désiré s’exprimer, se partageaient le marché.
«Attention aux simplifications! L’idée +Carrefour arrive et on va voir ce qu’on va voir+ est une caricature. Prosuma et CDCI n’ont pas attendu Carrefour pour avoir des fournisseurs locaux ou proposer des prix attractifs à la classe moyenne», souligne un expert de la distribution dans une grande banque.
«Ils connaissent le terrain. Ils sont ici depuis des années et ils sont restés pendant la crise politique. Les deux ont un maillage de magasins non seulement à Abidjan mais dans tout le pays», poursuit l’expert qui souligne que CDCI offre aussi des services de transfert d’argent dans sa centaine de magasins sur le territoire.
«Les clients peuvent retirer de l’argent et consomment ensuite sur place. Il y a aussi la possibilité de faire des transferts d’achats (payer dans un magasin pour qu’on retire la marchandise ailleurs dans le pays). Ce sont des services que n’aura pas Carrefour même s’il pourra sans doute faire des différences avec des marques distributeurs et des produits amortis à grande échelle avant d’arriver en Côte d’Ivoire», souligne-t-il
«Seule la concurrence peut créer (...) préserver l’intérêt» du consommateur et «faire baisser les prix», souligne le ministre du Commerce alors que d’autres projets de supermarchés d’autres groupes sont dans les cartons.
Le président ivoirien Alassane Ouattara (C) inaugure un centre commercial Carrefour à Abidjan le 18 décembre 2015 Photo SIA-KAMBOU. AFP