Séduits par le miracle économique ivoirien vanté jusqu’à l’excès ces dernières années, les ressortissants français installés dans le pays sont inquiets.
Les mutineries qui ont éclaté au sein de l’armée ivoirienne et les soulèvements sociaux qui ont ébranlé le pays en début d’année ont rappelé de malheureux souvenirs à la communauté française. Lors de la crise de 2004, celle-ci avait été la cible de pillages et d’agressions avant d’être massivement évacuée par l’armée. Plusieurs épisodes récents ont fait l’effet d’une désagréable piqûre de rappel.
Sauver la vitrine
Le 18 janvier, le lycée français Jean Mermoz a été violemment envahi par des manifestants qui ont menacé et brusqué certains élèves. « Des portables ont été volés et plusieurs enfants traumatisés à la vue de couteaux » explique une mère de famille. Dépêché sur place, l’ambassadeur de France Georges Serre a tenté de calmer les esprits, déplorant un incident. Une intervention mal reçue dans le milieu des expatriés français dont plusieurs se plaignent de voir leurs peurs minimisées à la faveur d’une opération de communication. « Il tente juste de sauver la vitrine » tempête l’un d’eux. Un sentiment exacerbé par la proximité qu’entretient l’ambassadeur avec le chef de l’Etat. « On ne sait pas s’il nous défend nous ou Ouattara » ironise un français installé à Abidjan qui critique des démonstrations de soutien jugées exagérées de l’ambassadeur aux autorités ivoiriennes. En novembre 2016, ce dernier avait notamment remis la légion d’honneur au ministre de la Défense Richard Donwahi dans les locaux de l’ambassade de France afin de récompenser ses efforts dans la lutte contre le terrorisme.
Les tensions qui ont éclaté au début de l’année ont fait l’effet d’une douche froide, dévoilant toute la fragilité d’un pays non réconcilié. Après Mermoz, c’est aux abords d’un autre lycée français, Blaise Pascal, que des tirs de mutins ont retenti. Depuis, rien ou presque n’a été rapporté par la presse sur cet évènement. « Il y a comme une omerta » souligne un journaliste ivoirien. Silence radio également du côté des autorités ivoiriennes et de l’ambassade de France. « Nous n’avons reçu aucune consigne ; depuis quelques semaines, l’ambassade et le consulat ne communiquent plus ».
Certaines sociétés françaises ont cependant décidé de prendre les devants. Le groupe Bouygues, très présent dans la filière du bâtiment, a notamment conseillé à ses salariés de rentrer en France en attendant une accalmie.
Dégradation du climat des affaires
De quoi sérieusement entamer l’image dorée dont bénéficiait jusqu’alors le pays auprès des ressortissants occidentaux qui doutent désormais de plus en plus des opportunités économiques. « Pour l’instant, les perspectives sont mauvaises. Il n’y a que peu de carnets de commandes pour 2017, tous secteurs confondus » note un entrepreneur français qui déplore une « dégradation du climat des affaires ».
Des craintes qui contredisent les chiffres annoncés par le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) dans son bilan 2016. Avec 672 milliards FCFA d’investissement contre 670 milliards en 2015, la France est passée au rang de premier investisseur privé du pays devant le Maroc qui l’avait devancé un an auparavant affirme le CEPICI. Mais, nuance le même entrepreneur, « la faible augmentation des investissements français n’a pas vraiment pesé dans la balance. Si la France est passée première c’est avant tout parce que les investissements marocains ont baissé ».
Très présents sur les marchés ivoiriens, les opérateurs marocains se plaignent de subir de nombreux impayés. Même chose du côté des opérateurs français dont certains dénoncent par ailleurs les retards des décisionnaires ivoiriens dans l’exécution des projets. C’est le cas notamment de Bouygues et Keolis engagés dans le consortium censé mené à bien les travaux du métro aérien d’Abidjan. Annoncé pour 2017, puis 2019, la mise en service ne devrait finalement pas se faire avant 2020.
par Thalia Bayle
Mardi 17 janvier 2017. Yamoussoukro. Des militaires mutins tirent en l’air et patrouillent dans Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d’Ivoire.