Après l'attaque d'une base militaire dans le nord du pays, les autorités sonnent l'alerte.
« C'est une attaque terroriste », a lâché le ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, également Premier ministre par intérim, lors d'un point de presse le jour même de l'attaque meurtrière contre un poste de l'armée dans le nord, à la frontière avec le Burkina Faso, le jeudi 11 juin. Même si les autorités se veulent rassurantes, il ne fait plus aucun doute que la menace djihadiste se fait plus forte vers les pays du golfe de Guinée en général et la Côte d'Ivoire en particulier. C'est la première attaque sur le sol ivoirien depuis l'attentat de Grand-Bassam en 2016 (19 morts), alors que les pays voisins – Mali, Burkina et Niger – subissent une multiplication des violences djihadistes depuis plusieurs années. Mais surtout cette attaque survient au moment où les forces ivoiriennes et burkinabées mènent conjointement une opération contre les djihadistes qui se cachent près de la rivière Comoé, qui coule entre les deux pays. Chez les autorités ivoiriennes, l'exemple du Burkina Faso, entraîné par la spirale djihadiste depuis cinq ans, est dans toutes les têtes.
Une attaque d'une ampleur sans précédent
L'assaut mené jeudi par des djihadistes à Kafolo d'un poste mixte armée-gendarmerie a fait « une dizaine de morts » parmi les militaires, selon le bilan officiel. À la différence de l'attentat de Grand-Bassam, œuvre de kamikazes qui avaient ouvert le feu contre des civils sur la plage et des terrasses d'hôtel de la station balnéaire, l'attaque de Kafolo a été signée par des combattants aguerris contre une cible militaire.
« La réponse sera à la mesure de cette attaque. La Côte d'Ivoire a les moyens de faire face. Elle l'a démontré par le passé. Je peux assurer que le niveau d'organisation de nos forces est tel que leur réponse sera rapide », a affirmé jeudi le ministre de la Défense Hamed Bakayoko.
Le pays avait regagné depuis 2011 une certaine stabilité, après une décennie de troubles, et avait retrouvé sa position de poids lourd économique et politique de l'Afrique de l'Ouest.
La Katiba Macina et d'autres
Cela a commencé un peu comme ça au Burkina. Les autorités minimisent l'ampleur de la menace. C'est très préoccupant, estime Mahoumoudou Savadogo, chercheur spécialiste du djihadisme. Si les « djihadistes ont attaqué un poste de l'armée, c'est qu'ils étaient outillés et entraînés. Qu'ils connaissaient la zone. Ils peuvent le refaire » dans un contexte politique marqué par la présidentielle d'octobre.
Pour lui, comme pour le chercheur Lassina Diarra, auteur de La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) face au terrorisme transnational, la Katiba Macina, un groupe djihadiste d'origine malienne, essaie de s'installer dans la zone dite des trois frontières (Mali, Burkina, Côte Ivoire), et lorgnerait même le Ghana.
La Katiba Macina, créée en 2015 par le prédicateur malien Amadou Koufa, est affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), qui a prêté allégeance à Al-Qaïda. Toutefois, c'est bien l'opération « Comoé », lancée conjointement par les armées ivoirienne et burkinabée en mai pour déloger les djihadistes de la zone, qui semble avoir déclenché l'attaque de jeudi.
« Il y avait un nid de frelons qu'on a dérangé. Ça pique, mais c'est logique », note une autre source sécuritaire. « On peut dire que cette partie de la Côte d'Ivoire était jusque-là une sorte de sanctuaire pour les djihadistes », explique Lassina Diarra.
« Il y a des combattants djihadistes expérimentés. L'armée ivoirienne semble avoir plus de capacités que certaines autres de la région, mais, sans collaboration avec les autres pays, ce sera difficile », dans un contexte de frontières poreuses.
Un combat qui s'annonce long
Une source militaire nuance la montée en puissance de l'armée ivoirienne : « Des efforts ont probablement été faits. Mais là on a dix morts contre un assaillant tué, moins de 15 jours après des opérations de combats dans cette zone rouge. Les soldats devaient être prêts et affûtés. Pourquoi le bilan est-il si lourd ? »
Pour lutter contre des tentatives d'implantation dans le nord de djihadistes, une source haut placée assurait récemment à l'AFP que des mesures de surveillance de mosquées et de prédicateurs avaient été prises, même dans des zones enclavées, comme Kafolo.
Elle soulignait aussi que le gouvernement avait, dans le cadre d'un meilleur maillage du territoire, inauguré ou réhabilité de nombreux commissariats et gendarmeries à travers le pays. Autre question importante, la présence ou non de combattants ivoiriens parmi les forces djihadistes. « Pour le moment, il ne semble pas y en avoir, ou peu », selon Lassina Diarra. « Plus le djihadisme est endogène, plus il est dur à combattre. Il ne faut pas espérer déraciner en 15 jours des années d'implantation », prévient Mahoumoudou Savadogo.
Côte d'Ivoire : la menace djihadiste met le pays en ébullition