Ce sont les maîtres du volant à Abidjan. Indisciplinés, jeunes ou vieillards, les chauffeurs de taxis (wôrô wôrô) et de mini car (gbaka) font du transport urbain un véritable calvaire pour les usagers. Incursion dans le quotidien d’un piéton de Abobo à Yopougon, deux communes populaires d'Abidjan.
Bruits de klaxons assourdissants, gaz d’échappement des voitures qui rendent l'air irrespirable et odeurs suffocantes causées par les déchets alimentaires abandonnés par les commerçants du marché «nouveau goudron» de Yopougon, en bordure de route... Voilà qui donne un spectacle peu agréable pour ne pas dire répugnant pour qui arrive là pour la première fois.
En plus de ces commerçantes qui envahissent les abords de la route, des «pousse-pousse» ou charretiers qui se faufilent dans tous les sens, les chauffeurs de gbakas et wôrô wôrô ont imposé l’indiscipline comme mode de conduite.
Ils conduisent de manière anarchique et invraisemblable, dans tous les sens et sans la moindre retenue. Les vieilles personnes ont beaucoup de mal à traverser! «Faux môgô là, faut vite traverser, on va bouger là», crie un chauffeur. «Oh c’est quel vieux ça» lance un autre chauffeur de taxi. Pourtant ils sont tous les deux en infraction au code de la route, car ils se trouvent sur le trottoir réservé aux piétons. Cette scène fait partie du quotidien des Abidjanais, de plus en plus confrontés aux problèmes de transport.
La galère pour espérer une place
A Abidjan, se déplacer le matin est un véritable casse-tête, notamment dans les quartiers populaires comme Yopougon et Abobo, où les populations n’ont d’autre choix que d'emprunter les transports en commun. A Yopougon, des lieux comme «le complexe», «pharmacie Bel air», «Keneya», «rond-point Gesco», «carrefour Sorbonne» grouillent de monde chaque matin.
Ce sont les repères où les riverains peuvent facilement trouver un moyen de transport. Mais, en réalité cette facilité se transforme en chemin de croix, vu la difficulté pour monter à bord du premier véhicule venu. Dès qu’un «gbaka» stationne dans ces lieux, c’est la bagarre entre les passagers pour l’embarquement. Ça se tire les chemises, ça se donne des coudes, ou des coups de tête, les plus robustes arrivent à décrocher la place. Certains anticipent. Par les fenêtres, ils déposent des objets sur les places assises en signe de réservation.
A Abobo, c’est pratiquement le même décor, observé tous les matins, notamment au rond-point situé en face de la mairie de la commune ou au carrefour Samaké. Le transport en commun est désormais un enfer. Et ce rituel, c’est tous les matins qu’il faut s’y soumettre. «Avec la période des fêtes ce sera plus difficile…», convient-on.
Le trottoir, voie de circulation
Pire encore, la conduite sur le trottoir. De nombreuses personnes sont victimes, au quotidien de la mauvaise conduite des chauffeurs de gbakas, wôrô-wôrô qui prennent d’assaut les voies réservées aux piétons, sous le fallacieux prétexte d’éviter les embouteillages.
«Ici, il n’y a plus de trottoir, les gbakas, de Gesco (quartier Ouest de Yopougon) nous mènent la vie dure ; je me demande bien s’ils ont un cerveau», déclare dans une colère noire Philippe Kouadio.
Les propos de Philippe Kouadio se sont illustrés à travers la scène que nous avons observé ce samedi, aux environs de 10 h, au «carrefour zone», dans le quartier Port Bouet 2. En effet, c’est avec la peur au ventre que les populations empruntent les trottoirs de ce secteur. C’est un spectacle inimaginable, parce qu’à chaque pas les usagers sont obligés de regarder en arrière, pour ne pas être surpris par ces «seigneurs de la route».
Au moindre reproche de certains piétons, qui trouvent ce comportement anormal, c’est la foire aux injures. «Va te plaindre chez le président, fils de maudit-là» lance un apprenti de gbaka à un adulte, à qui le conducteur demande de céder le passage sur le trottoir pour ne pas se faire écraser le pied. Une scène qui nous laisse pantois, à telle enseigne que l'on se demande si nous avons changé de planète, où l’anormalité devient normale.
En outre, les gbakas ont la réputation de rouler portes ouvertes. Ces portières effleurent les passants, parfois les blessent sans pour autant s’arrêter. «Les gbakas sont un mal nécessaire. On n’a pas le choix, on est obligé de les subir au quotidien. Vous parlez des portières, mais vous oubliez aussi les rajouts de sièges dans les véhicules. J’ai eu un problème aux genoux à cause d’un gbaka que j’ai emprunté à Port Bouet 2. Je ne pouvais même pas plier ma jambe convenablement dans la voiture», fait savoir Isabelle Koné, commerçante de vêtements à Adjamé St Michel.
Ces deux communes situées dans la partie Nord d’Abidjan, sont reliées au Plateau, le quartier des affaires, et à la partie Sud de la capitale par des autoroutes, de quoi donner chaque matin au moins une heure de sueur froide aux passagers: quand il n’y a pas d’embouteillage, c’est en trombe que ces véhicules mal entretenues se jettent sur la route et le pire arrive souvent. «C’est dangereux d’emprunter ces voitures mais on va faire comment?», se résignent généralement les Ivoiriens.
Le permis à points, peut-être la solution
Du côté des autorités, l’on a conscience des énormes désagréments causés par ces véhicules de transport mais aucune mesure choc n’est prise. «Pour éviter le racket, on a retiré les agents de police des rues sans proposer autre chose pour imposer la discipline des automobilistes» reconnaît un conseiller de la municipalité de Yopougon.Que faire alors? «Il faut continuer à sensibiliser…», un échappatoire mainte fois ressassé qui n’a pas porté ses fruits.
Toutefois le permis à points annoncé dernièrement par le gouvernement pourrait peut-être avoir l’effet «épée de Damocles» et ramener nos chauffards à la raison.
Photo à titre d'illustration