Abidjan - Grève de militaires, barrages, coups de feu tirés dans Abidjan après l’arrestation vendredi d’un ex-chef de guerre : les rebelles ayant porté Alassane Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire en 2011 n’en finissent pas de gêner le régime.
"Les autorités ont attendu trois ans pour neutraliser les rebelles, pour les marginaliser, les mettre au placard. Maintenant, ça va être de plus en plus difficile", observe une source sécuritaire occidentale.
Mi-novembre, des soldats en grève ont bloqué le pays. Le mouvement a démarré de Bouaké, la deuxième ville ivoirienne et ancienne place-forte de la rébellion, avant d’essaimer rapidement pour atteindre Abidjan.
Près de 9.000 anciens rebelles, intégrés dans l’armée en 2009 et 2011, exigent le paiement d’arriérés de soldes et des promotions. Alassane Ouattara les reçoit à la présidence. Il souscrit deux jours plus tard à leurs doléances.
"Ouattara a ouvert la boîte de Pandore", remarque un analyste occidental."Avec ce geste, il s’est acheté la paix dans les casernes jusqu’à la présidentielle" d’octobre 2015, dont il est le grand favori, mais il a aussi "créé un précédent" et "une instabilité probable" après l’élection, estime-t-il.
Les gardes pénitentiaires, dont 2.000 anciens rebelles font partie, se sont ensuite mis en grève pour une journée. Le mouvement part là encore de Bouaké, l’ancienne capitale rebelle du "nord ivoirien", quand le territoire national était coupé en deux après le coup d’Etat manqué de 2002 contre Laurent Gbagbo.
Cette partition a engendré une décennie de crise politico-militaire, et le refus de M. Gbagbo de reconnaître la victoire de M. Ouattara à la présidentielle de décembre 2010 a fini de plonger le pays dans le chaos.
Près de 3.000 personnes ont péri en cinq mois de violences postélectorales, dont l’ex-président a été le grand perdant. Détenu depuis trois ans par la Cour pénale internationale, il doit être jugéen juillet 2015 pour "crimes contre l’humanité".
Les ex-rebelles qui ont porté Alassane Ouattara au pouvoir devenus les piliers du nouveau régime. Quand 44.000 ex-combattants sur 74.000 sont officiellement "démobilisés" et "réintégrés", selon les derniers chiffres disponibles, leurs leaders, les "com’zones" (commandants de zone), trônent au sommet de la hiérarchie sécuritaire.
’Décapitation de la rébellion’
La Fédération internationale des droits de l’Homme dénonçait en décembre l’impunité dont bénéficie l’un d’entre eux, Losséni Fofana, dit "Loss", désigné pour sa responsabilité dans le massacre de Duékoué (ouest) de mars 2011, qui a fait "des centaines de morts". Loss est pourtant en charge de la sécurité militaire de toute la partie occidentale du pays.
Rarement, certains tombent en disgrâce. Issiaka Ouattara, dit "Wattao", considéré comme "le moins sanguinaire" de tous, a été exilé cet été au Maroc pour une formation militaire, payant vraisemblablement son goût pour un luxe trop tapageur.
De nombreux ex-rebelles restent toutefois exclus de l’appareil sécuritaire. Tel Salif Traoré, dit "Tracteur", arrêté vendredi matin par l’armée à son cossu domicile abidjanais pour un motif encore inconnu.
L’interpellation a fait un mort parmi ses hommes, dont une petite partie seulement "dispose de matricules" militaires, expliquent-ils. D’autres ont ensuite tiré en l’air pour manifester leur colère.
Des dizaines de soldats, certains le visage recouvert de cirage noir, d’autres portant des lance-roquettes, ont été appelés en renfort pour ramener le calme.
L’incident, peu compatible avec l’image d’une Côte d’Ivoire apaisée vantée par les autorités, est une "conséquence de la crise" postélectorale, reconnaît Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement, pour qui Abidjan "traite petit à petit ces questions".
Salif Traoré était accusé d’avoir fomenté le blocage jeudi matin d’un important axe de circulation à proximité du camp militaire d’Akouédo, le plus important d’Abidjan, ce que ses hommes nient.
Les soldats ayant érigé les barricades, coupables de "fautes graves" et de "manquements à la discipline militaire", ont été "immédiatement mis aux arrêts " et seront "radiés", a annoncé le ministère de la Défense vendredi.
"Ce sont des mouvements d’humeur qui peuvent arriver. Mais à chaque fois l’ordre est instauré par les responsables de la sécurité", rassure M. Koné. Les sympathisants de "Tracteur" sont moins conciliants.
"La décapitation de la rébellion est en train de se produire à Abidjan. Il vaudrait mieux que le président prenne ses dispositions pour protéger ceux qui l’ont libéré hier", analyse l’un d’entre eux.
"Ils ont oublié qu’on les a mis au pouvoir !", dit un autre, gri-gri à la main et avertissant : "on ne rentre pas dans le jeu de l’intimidation. Mais si on nous force, on le fera."
jf/jpc
En novembre, le Président ivoirien avait déjà rencontré les mécontents