Akouédo ne dort jamais. Jour et nuit, la commune à l’est d’Abidjan vit au rythme des allées et venues des camions-bennes, qui déversent des tonnes de déchets, juste à côté, dans la plus grande décharge de Côte d’Ivoire.
A chaque arrivée, des centaines d’habitants retroussent leurs manches et « débrouillent » dans les ordures à la recherche de matériaux qu’ils pourront revendre. Les conditions de vie difficiles des « fouilleurs » et des riverains se sont encore dégradées depuis la nuit du 19 au 20 août 2006. Cette nuit-là, les camions apportaient des cales du navire Probo-Koala une catastrophe écologique dont le traumatisme perdure. Officiellement, 17 personnes sont décédées et des dizaines de milliers ont été empoisonnées.
Adossé à la porte de sa maison, entouré de ses amis, Diakaridia Traoré se souvient de son réveil, le matin du 20. « Une mauvaise odeur a envahi le village. Au début, on ne savait pas que ça faisait mal, confie cet ancien agriculteur. Mais très vite, nous avons souffert de forts maux de ventre, de tête, et d’éruptions cutanées. Même les varans, qui mangent de tout dans les caniveaux, sont morts ».
De graves conséquences sanitaires
Les dégâts causés par le déversement illégal des déchets toxiques du Probo-Koala à Akouédo et dans d’autres sites d’Abidjan sont encore présents. Diakaridia a perdu sa source de revenus quand les camions ont pollué son petit champ.
Il se plaint aussi de douleurs intenses au niveau du cœur, apparues à l’époque : « On a eu droit à des médicaments au début, mais pas longtemps. » Il appelle sa nièce, Fanta, assise non loin. Elle le fixe de ses grands yeux curieux, mais ne le rejoint pas : gravement handicapée, Fanta est incapable de se tenir debout ou de marcher. Sa mère a accouché d’elle en octobre 2006. Pour sa famille, aucun doute, c’est le résultat des émanations toxiques.
Joëlle Ouffouré, qui dirige l’antenne de l’ONG Santé Côte d’Ivoire à Akouédo, est arrivée en 2012 dans le village : « Le premier constat, c’est qu’il y a énormément de problèmes de peau, des démangeaisons à n’en pas finir. Nous prescrivons des antibiotiques, des corticoïdes, mais c’est sans effet, les boutons reviennent toujours. »
Pour le gouvernement ivoirien, la dépollution est achevée. Mais Moustapha Sangaré, ancien conducteur d’engin à la décharge d’Akouédo, qui a fait partie de l’équipe chargée de récupérer les boues polluées, n’en est pas si sûr.
« Une bonne partie du déversement est passée par les caniveaux pour arriver dans une large retenue d’eau, dans la décharge. On a mis la terre dans des « big bags » et le lac a été empierré et bouché, mais pourtant, quand il pleut, on sent encore l’odeur toxique », précise-t-il.
En 2009, après une longue procédure judiciaire entre 30 000 victimes et la société Trafigura, affréteur du Probo-Koala, la justice britannique a approuvé un accord prévoyant le versement de 750 000 francs CFA (environ 1 140 euros) à chaque victime reconnue.
Mais la coordination nationale des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (CNVDT-CI), qui devait reverser les fonds, a détourné une partie de l’argent, et à Akouédo, très peu en ont vu la couleur. « On n’a rien reçu, on se soigne à nos frais, personne ne s’occupe de nous », s’énerve Désiré Kouassi, les mains et les pieds criblés de boutons.
Le réseau national pour la défense des droits des victimes déchets toxiques s’est élevé contre le détournement et se bat, depuis 2009, pour que 6 000 personnes soient indemnisées. « Nous n’avons pas eu d’oreille attentive. Beaucoup de personnes sont décédées et ce n’est pas fini », se désole le président de ce réseau citoyen, Charles Koffi.
Il s’est rendu le 19 août 2016 devant l’ambassade des Etats-Unis à Abidjan avec une centaine de victimes pour entamer une « grève illimitée de la faim ».
Il compte alerter la communauté internationale sur le maintien en liberté de plusieurs hommes accusés d’avoir détourné les fonds, et ce « en dépit de leur condamnation à 20 ans de prison ». A Akouédo, de nombreux habitants ont conservé leur carte de CNVDT-CI. Tous l’agitent, comme la reconnaissance d’une dette qu’ils n’ont pas désespéré de recouvrer un jour.
Rémi Carlier
contributeur Le Monde Afrique, Abidjan
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Photo:AFP / Diakaridia Traoré, ancien agriculteur et victime du drame du Probo-Koala, n’a pas reçu l’indemnisation promise par l’association dont il conserve la carte.