C'est l'industrie du chocolat qui mène la lutte contre le travail des enfants en Côte d'Ivoire. Les multinationales étaient menacées d'embargo aux Etats-Unis depuis le scandale d'un enfant esclave dans une plantation de cacao, en 2001. Nestlé, Cargill, Barry Callebaud financent une fondation, « Initiative Cacao Internationale », ICI, active sur le terrain pour faire de la pédagogie et construire des écoles. Reportage de notre envoyée spéciale dans la région de Divo, au sud de la Côte d'Ivoire.
La lutte contre le travail des enfants en Côte d’Ivoire est une priorité nationale, portée par la première Dame, Dominique Ouattara, qui vient de signer un partenariat contre la traite avec le Ghana, après l’avoir fait avec le Burkina Faso. La législation est de plus en plus précise en la matière et un nouveau texte devrait être publié dans un mois. Mais c’est l’industrie du chocolat qui finance majoritairement les actions à travers la fondation International Cocoa Initiative, « Initiative Cacao Internationale » (ICI).
ICI dispose d’un budget de 5 millions d’euros annuels en 2015, dont 1 million d’euros par an fourni par le ministère américain du travail de 2015 à 2019. Basée à Genève, ICI agit en Côte d’Ivoire et au Ghana, et projette de s’installer au Nigeria et au Cameroun.
Pour faire régresser le travail des enfants, la fondation Initiative Cacao Internationale (ICI) a recruté une soixantaine d'agents qui circulent dans toute la « boucle du cacao »de Côte d'Ivoire, au sud du pays. Marius Yessoh coordonne l'action d'ICI dans le département de Divo : « Nous faisons des visites inopinées. Quand on arrive dans une plantation on regarde si le producteur qui travaille est accompagné ou non d’enfants. »
Il s'agit d'empêcher les travaux dangereux pour les enfants, et de faire retourner les enfants à l'école, obligatoire de 6 à 16 ans désormais en Côte d'Ivoire. Seuls 1% des enfants travailleurs sont issus de la traite, selon ICI. 99% sont les enfants des planteurs. « Ils m’ont trouvé au champ avec ma fille et mes femmes, raconte Idrissa Ouattara, petit planteur à Guitry. Ils m’ont demandé pourquoi ma fille n’allait pas à l’école, j’ai dit que je n’avais pas les moyens et que je ne pouvais pas la laisser seule à la maison, ils m’ont dit qu’elle ne devait pas aller au champ et que sa place était à l’école ». ICI a pris en charge les frais de scolarité de la fillette. A 10 ans, elle a été déclarée à l’Etat civil et suit une formation de couturière.
ICI a également soutenu la famille Sanogo, dont les deux fils avaient manqué la rentrée scolaire pour aider leur mère au champ, parce que le papa, malade, devait aller se faire soigner dans une autre commune. Les garçons ont pu reprendre le chemin du collège. Ils excellent l’un en physique, l’autre en histoire-géographie.
Pour augmenter les revenus des familles, la fondation soutient parallèlement le développement d’autres activités que le cacao, qui ne rémunère que six mois par an. Notamment les projets dans le décorticage du riz local, la transformation du manioc, menés par les femmes.
En Côte d’Ivoire, l’Etat ne parvient pas à construire suffisamment d’écoles, c’est pourquoi l'argent des multinationales du chocolat finance directement ou à travers ICI la construction de nouveaux établissements plus proches des campements, les villages. Vu l’état des pistes, l’éloignement des écoles est une des raisons pour lesquelles beaucoup d’enfants restent au champ avec les parents. « En partenariat avec Nestlé, nous construisons des écoles de ce standing, indique fièrement Marius Yessoh, devant un établissement flambant neuf qui accueillera 600 élèves. Nous en avons fait plusieurs cette année, et nous allons en construire encore une dizaine d’autres. Nous avons aussi livré des tables-bancs dans une autre école où les élèves étaient entassés ».
Pour éviter que les cultivateurs n’aient recours aux enfants dans les plantations, les coopératives cacaoyères partenaires d'ICI mettent à disposition une main d’œuvre payable à crédit : les planteurs paient lorsqu’ils ont reçu l’argent du cacao.
A Guitry, la coopérative est dotée d’un kit pédagogique et d’affiches qui rappellent les règles, définies par le gouvernement ivoirien. « Tout producteur qui arrive doit savoir que la place d’un enfant est à l’école. Cette affiche le montre, souligne Denis Tindji Logbou, le directeur. Sur celle-ci, un enfant ne doit pas abattre les arbres, là, il ne doit pas porter de charges lourdes. La manipulation et l’épandage de produits phyto-pharmaceutiques lui sont interdits (…) Et voici les images en cas de manquement les plus graves : le boycott du cacao, et même la prison... »
La prévention commence à porter ses fruits dans la « boucle du cacao » en Côte d'Ivoire. Si l’on voit encore des enfants porter la machette ou lever des barrières sur les pistes, et qu’au total dans le pays, deux enfants sur dix effectuent toujours des travaux dangereux, le phénomène a reculé de 22% en dix ans.
Côte d'Ivoire: lutte contre le travail des «enfants du cacao»