Arrivé au pouvoir après une crise sanglante, le président ivoirien Alassane Ouattara sera investi samedi, lors d'un meeting aux airs de démonstration de force, "candidat unique" de son camp à l'élection d'octobre, malgré des grincements de dents dans sa majorité.
A Abidjan, les 35.000 places du stade Félix Houphouët-Boigny - du nom du "Père de la nation" et mentor de M. Ouattara - devraient être remplies pour l'occasion. Les organisateurs escomptent même "200.000 personnes" dans tout le Plateau, le quartier administratif qui abrite le stade.
Ce rendez-vous en plein coeur de la capitale économique "marquera l'histoire de notre pays", assurait en début de semaine Adjoumani Kouassi Kobenan, porte-parole de cette convention d'investiture.
Le scénario est millimétré: samedi matin, chacun des cinq partis de la majorité "donnera sa lettre d'investiture à Alassane Ouattara. Et lui acceptera officiellement cette décision", explique Joël N'Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel.
Un appel aux Ivoiriens à s'y rendre dès 06H00 (heure locale et GMT) tourne en boucle depuis jeudi sur la télévision nationale. Autocars et mini-cars ont été loués dans tout le pays pour transporter les militants.
"C'est la grande convention stalinienne, la réunion du Politburo", ironise Jean Alabro, un politologue ivoirien. Selon lui, la "démonstration de force" attendue permettra aussi au pouvoir de "se mettre à l'abri de ses propres frayeurs".
Principal allié de M. Ouattara, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) connaît en effet de forts remous depuis que son chef, l'ex-président Henri Konan Bénié, a lancé en octobre 2014 "l'appel de Daoukro": depuis son fief du centre-est du pays, M. Bédié avait apporté le soutien du PDCI à la candidature de M. Ouattara.
Au sein de l'ancien parti unique, quatre "irréductibles", dont l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny, se sont prononcés contre cette décision.
Résultat: au PDCI, "toutes les deux semaines, on fait des réorganisations de l'exécutif" pour évacuer l'opposition interne, indique Jean Alabro.
L'alliance PDCI-RDR a déjà fait ses preuves. Au deuxième tour de la présidentielle de novembre 2010, M. Bédié (arrivé troisième au 1er tour) avait appelé à voter pour M. Ouattara, l'aidant à l'emporter face à Laurent Gbagbo, qui était au pouvoir depuis dix ans.
'Vuvuzela'
Mais, après une décennie de tourmente politique et militaire dans cette ex-colonie française, le refus de M. Gbagbo de reconnaître la victoire de M. Ouattara avait plongé le pays dans une crise sans précédent. Plus de 3.000 personnes ont péri.
Aujourd'hui, alors que M. Gbagbo attend à La Haye d'être jugé par la Cour pénale internationale (CPI) pour "crimes contre l'humanité", le président Ouattara apparaît comme le grandissime favori de la prochaine élection.
"Tous les observateurs reconnaissent au chef de l'Etat pratiquement toutes les chances de remporter ce scrutin", affirmait mercredi Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement.
Sans leader incontesté et en proie à de fortes divisions, le parti de M. Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), n'a toujours pas décidé s'il se lancerait ou non dans la bataille.
Le principal parti d'opposition ne peut donc que s'irriter de la grand-messe de samedi: "Ce meeting, c'est de l'autocélébration aux frais de l'Etat. Ca ne sert à rien aux Ivoiriens. Ce n'est que du +vuvuzela+", peste Franck Bamba, porte-parole du FPI.
Il n'en reste pas moins que l'opposition n'a "pas réussi à se coaliser" pour aligner face au président sortant un adversaire "de poids", souligne le sociologue Rodrigue Koné.
Des "frondeurs" du FPI, hostiles au chef du parti Pascal Affi N'Guessan, se sont certes engagés dans une union avec les "irréductibles" du PDCI. Mais cette coalition n'a pour l'heure ni programme ni candidat commun. Nombre de ses membres sont d'ailleurs de potentiels postulants.
Pour M. Ouattara, les bons résultats économiques de la Côte d'Ivoire, qui surfe sur une croissance de 9% depuis 2011, constitueront un solide argument électoral.
Mais son bilan en matière de réconciliation reste critiqué.
Et la condamnation par la justice ivoirienne de l'ex-Première dame Simone Gbagbo à 20 ans de prison pour "attentat contre l'autorité de l'Etat" n'a fait que relancer les accusations de "justice des vainqueurs". Le procès a été vivement critiqué par des défenseurs des droits de l'Homme.
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Photo:Présidence / En semptembre 2014, Bédié lançait "l'appel de Daoukro"