Kiff No Beat, Tiken Jah Fakoly, DJ Leo, Nash… Le Femua, festival ivoirien, a mis en évidence le fossé qui sépare l’ancienne génération de la nouvelle, plus disposée à faire bouger les hanches que la société.
«Entre celui qui a créé l’avion et celui qui a créé le collant, qui est le plus dangereux ? C’est le collantier ! » Le 27 avril, au Femua, le festival des musiques urbaines d’Abidjan, la nouvelle star du coupé-décalé DJ Leo invite sur scène quatre danseuses aux formes très généreuses enrobées de nylon qui illustrent parfaitement le propos de son tube « Collant coller ».
« Tellement elle aime les collants dimanche matin encore à l’église elle est en collant. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, retourne-toi ! » La vedette aux dreadlocks décolorées s’incline devant le plus impressionnant des popotins et suit, hypnotisé, le ballottement du valseur.
"Nous sommes venus vous apporter un message, le pouvoir est une drogue !
Deux jours plus tard, le géant du reggae ivoirien Tiken Jah Fakoly arpente la même scène en brandissant un long bâton, tel un prophète des temps modernes. « Nous sommes venus vous apporter un message, le pouvoir est une drogue ! […] Ils ont installé leur famille, ils disent que c’est la démocratie », psalmodie le chanteur dans son nouveau titre, « Troisième Dose », avant d’engager le continent à « se réveiller ».
Une heure trente de messe militante rouge-jaune-vert plus tard, on se demande comment la musique ivoirienne a pu faire un tel grand écart entre un engagement radical et du pur divertissement. La question n’étant pas de savoir si les anciens sont meilleurs que les nouveaux, mais pourquoi le positionnement des artistes les plus écoutés a tellement évolué en une dizaine d’années.
Réseaux sociaux et nouveaux combats
En entretien avant leur concert, entre deux SMS, les rappeurs de Kiff No Beat, la nouvelle sensation de la scène ivoirienne, donnent un début d’explication. « Chacun son combat, les grands frères étaient plus investis dans la politique, lance Didi B, le chouchou des jeunes Abidjanaises. Nous et le public de notre âge, on ne s’y intéresse pas trop. »
Les cinq membres du groupe, 25 ans de moyenne d’âge, ont connu une carrière météoritique : en 2009, ils créaient leur « posse » ; en mars dernier, ils ont signé chez Universal Music Africa, enregistré un clip à gros budget pour leur titre « Pourquoi tu dab ? » avec un réalisateur nigérian, et donné dans la foulée un concert dans la salle de l’Olympia, à Paris.
Leur secret ? « Être à l’écoute de nos fans ! s’exclame Didi B. Quand on fait un nouveau titre, on l’envoie à un petit noyau sur les réseaux, et on corrige en fonction de leurs remarques. On veut faire quelque chose qui leur plaise. » Voilà comment les caméléons de Kiff No Beat en arrivent à passer du dancehall au R’n’B ou à la trap, copiant le flow, les attitudes et les sonorités des Jamaïcains ou des Américains.
Ils assument de créer un « produit » pour satisfaire pleinement leurs auditeurs. Des paroles choquent un peu ? « On se censure nous-mêmes, ou on parle en nouchi, l’argot d’ici. » Voilà comment « le kpetou » (« la chatte ») et les « kpôclés » (« putes ») se sont invités sur les titres les plus médiatisés du groupe…
Image utilisée à titre d'illustration