Depuis janvier, le climat social s’est dégradé. Des militaires aux planteurs, la rue ivoirienne demande sa part des fruits d’une croissance pourtant soutenue.
En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, il est des images qui font tache. Le 17 février, des producteurs manifestant contre les lacunes du système de commercialisation mis en place par le gouvernement étaient dispersés par la police.
Bilé Bilé Boa, président de la Coordination nationale des planteurs de Côte d’Ivoire, à l’origine de la contestation, est amer. « Les planteurs ont soutenu Alassane Dramane Ouattara [ADO] à 200 % lors de la dernière présidentielle, mais aujourd’hui c’est la déception qui nous anime », constate le leader de cette organisation traditionnellement proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Dans un contexte de baisse de 30 % du cours mondial du cacao, les producteurs peinent à écouler leur récolte.
Le pays atteint un taux de croissance parmi les plus élevés au monde
La crise qui affecte cette filière vitale pour l’économie ivoirienne tombe mal. Tendu depuis le début de l’année 2016, le climat social s’est encore détérioré en janvier, avec comme point de départ les mutineries d’une partie de l’armée qui réclame notamment une revalorisation des salaires et le versement de primes. Une vague de mécontentement qui s’est ensuite étendue aux ouvriers, fonctionnaires, planteurs, chômeurs, étudiants…
Grande précarité
Réélu dès le premier tour en octobre 2015, ADO vit la plus importante crise sociale depuis son accession au pouvoir, il y a cinq ans. Moteur économique de l’Afrique de l’Ouest qui peut s’enorgueillir d’un taux de croissance parmi les plus élevés au monde (7,9 % en 2016 après quatre ans à 9 % de moyenne), la Côte d’Ivoire est prise d’une quinte de toux.
« Les fidèles avec lesquels je discute témoignent que la vie est de plus en plus dure, raconte un religieux qui souhaite garder l’anonymat. Lorsque des pères qui disposaient d’une bonne situation il y a encore quelques années viennent me demander de l’argent parce qu’ils n’ont pas pu nourrir leur famille depuis deux jours, je me dis qu’il y a un problème. »
Limites d’une politique axée sur l’économie
Pour Gilles Yabi, ex-directeur de projet au sein de l’ONG International Crisis Group et initiateur de Wathi, un think-tank citoyen pour l’Afrique de l’Ouest, « cette situation illustre les limites de la gouvernance actuelle, qui a fait de la relance économique et de l’ouverture internationale la réponse aux problèmes. Cette stratégie a eu un impact positif incontestable, avec une relance de l’économie en partie basée sur l’investissement public.
Mais dès lors que les populations ont le sentiment que seule une oligarchie profite de cette relance, cela aiguise les frustrations ». « C’est un mauvais procès, considère un homme d’affaires proche du pouvoir. Chaque système génère ses élites, ce n’est pas un problème en soi. »
Depuis 2012, les salaires ont augmenté de près de 30 %
« C’est inquiétant parce que le processus est imprévisible et difficile à gérer, mais ce n’est pas nouveau, estime un diplomate en poste à Abidjan. Je ne vois pas cela comme le signe d’une bombe sociale. Les besoins sont énormes, les attentes sont énormes… Il faut communiquer plus efficacement pour expliquer les actions du gouvernement en faveur de la population et redoubler d’efforts sur toutes les questions de moralisation de la vie politique. »
Des réformes impopulaires stoppées net
« Prétendre que le régime est ultralibéral et que la croissance n’a pas amélioré le niveau de vie des Ivoiriens est faux, assure un ministre. Depuis 2012, les salaires ont augmenté de près de 30 %, et plus de 2 000 milliards de F CFA [environ 3 milliards d’euros] ont été dépensés dans la santé ou l’éducation. Et puis le problème des fonctionnaires est une patate chaude léguée par Laurent Gbagbo. »
S’il reconnaît que les succès engrangés par son pays « ont sans doute été survendus », ce membre du gouvernement ne cache pas une certaine incompréhension face à une population qui continue d’exprimer son ressentiment. « Jamais le pays n’avait réalisé de tels progrès », conclut-il...La suite sur Jeune Afrique
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