Certes, les produits de contrebande asiatique sont visibles sur tous les étalages, mais on trouve aussi des produits originaux détournés des circuits officiels. Plusieurs agents de santé nous l’ont confirmé.
«Les gens aiment dire que nous vendons de faux médicaments. Non, ce sont des vrais. Seule la mauvaise conservation peut nous être reprochée», admet Affou, une ex-«pharmacienne» repentie de Roxy, reconvertie en commerçante de produits de bouche en raison des menaces de plus en plus pressantes des autorités.
Selon Affou, ces médicaments sont achetés bon marché via des «réseaux» et cédés pour un bénéfice pouvant atteindre les 100%. «Je prenais un lot de Ceftriaxone à 300 francs la boîte. Je vendais l’unité à 500 francs (un peu moins d’un euro).
En pharmacie, on l’obtient à 3.000 francs (4,57 euros). Il y a aussi les ampoules de Novalgin. Elles coûtent 100 francs l'unité, mais les infirmiers et médecins qui nous les achètent revendent l'ampoule 1.000 francs aux patients, soit 1,52 euros», révèle-t-elle, sans jamais désigner les acteurs de ce trafic.
Car tout se déroule dans l’opacité. Les comprimés, les ampoules de produits injectables, les flacons d'eau distillée, les carnets de santé et autres médicaments, tels que ceux fournis aux pharmacies privées, sont ici soigneusement emballés. Ils affichent des dates qui restent dans les normes d’avant péremption. Mais nulle part ne figure un quelconque cachet pouvant donner des indices sur leur provenance.
La Nouvelle pharmacie de la santé publique et à la Distribution pharmaceutique de Côte d’Ivoire, les deux principaux fournisseurs des pharmacies privées sont très souvent montrées du doigts, mais elles ont toujours réfuté les accusations.
Cependant, en avril 2016, un scandale avait éclaté à la suite d’un rapport du Bureau de l’inspecteur général du Fond Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FM). En effet, au terme d’une mission d’audit mené à Abidjan, celui-ci avait conclu que la Nouvelle pharmacie de la santé publique (NPSP), organisme public en charge de la gestion et de la distribution de produits pharmaceutiques aux centres de santé publics), n’avait pas pu rendre compte de près de deux millions de comprimés de RHZE sur les 10 millions rentrés dans son entrepôt en 2014 et 2015.
Ces médicaments, des antibiotiques puissants et essentiels dans le traitement de la tuberculose avaient été détournés pour alimenter les ventes illicites sur les marchés locaux, selon le rapport d’audit. Le stock représentait 75 millions FCFA, soit 114,3 mille euros, et une valeur marchande de 150 millions FCFA, soit 228,6 mille euros, sur les marchés locaux.
Mais la réaction immédiate des accusés, qui contestaient le sérieux de l’audit (insuffisances au niveau de la méthode d’investigation et de la qualité des données), avait conduit l'organisme et les mis en cause à se rapprocher puis à démentir l’idée d'un détournement. L’affaire avait ensuite été étouffée...
Photo à titre d'illustration / Un kiosque de médicament de la rue à Adjamé Roxy