Côte d'Ivoire. Que peut vraiment Kofi Annan ?

  • 09/10/2013
  • Source : Nouveau Courrier
L’ancien secrétaire général de l’ONU offre sa médiation dans le cadre de la persistante crise ivoirienne. Mais il est difficile d’évaluer ses véritables intentions, et les moyens de pression dont il dispose pour faire accepter le retour à l’ordre démocratique à un Ouattara qui fonde son système de conservation de pouvoir sur ses possibilités illimitées en matière d’arbitraire.

C’est un communiqué de presse qui a officialisé l’information. Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies et président des Elders – lesquels se présentent comme un groupe de «personnalités indépendantes qui mettent leur expérience et leur influence communes au service de la paix, de la justice et des droits de l’Homme dans le monde entier – sera en Côte d’Ivoire demain et après demain. Le communiqué officiel des Elders indique que Kofi Annan aura des «entretiens privés» avec Alassane Ouattara et plusieurs autres dirigeants politiques, mais également avec des représentants de la société civile.

Objectif de la visite :  «Evaluer les progrès réalisés dans le redressement du pays et discuter des défis qui restent à surmonter dans la perspective des élections de 2015», nous font savoir les Elders.

Dans une brève de sa rubrique «Confidentiel», l’hebdomadaire Jeune Afrique donne plus de détails sur ce qu’il présente comme une «offre» de «médiation». «Faire revenir le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo dans le jeu électoral : c’est l’un des enjeux de la visite de Kofi Annan à Abidjan, du 8 au 10 octobre. L’ancien secrétaire général de l’ONU devait notamment rencontrer, entre autres, Alassane Ouattara, le chef de l’Etat, Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI (libéré de prison le 5 août), et Charles Konan Banny, le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation», écrit JA.

Une grosse inconnue !


Les observateurs attentifs de l’actualité politique ivoirienne se posent forcément une question : que peut vraiment Kofi Annan ? L’arbitraire carcéral qui caractérise le régime de Ouattara et la «prise en otage» des institutions à caractère électoral sont au centre de sa stratégie de confiscation du pouvoir. Kofi Annan pourra-t-il le faire bouger sur la question des prisonniers politiques, quand le secrétaire général du RDR Amadou Soumahoro rêve de remettre en prison ceux qui y sont déjà ? Sur la question de la négociation de règles de compétition politique plus équitables, Ouattara a bien entendu tout à perdre. Sa base politique est plus ou moins refroidie par la vie chère et l’absence totale de conscience sociale qui caractérise son pouvoir et les affairistes qui l’entourent.

Le PDCI et ses électeurs sont revenus de toutes leurs illusions - pour ceux qui en avaient. Et bien entendu, il s’est durablement aliéné la base du FPI, qui se remobilise autour de Pascal Affi N’Guessan, comme on le voit lors des meetings monstres qu’il organise à l’intérieur du pays. Si les règles du jeu politique changent et que la compétition semble ouverte, même certains individus et groupes d’intérêt qui jouent la carte de la loyauté vis-à-vis de lui pourraient prendre le risque d’appuyer l’opposition. Dans ce contexte, l’inconnue est donc fondamentalement celle des moyens de pression dont bénéficie Annan.

Est-il «backé» par la France, les Etats-Unis, le FMI et l’Union africaine, qui peuvent mettre en difficulté Ouattara s’il fait preuve de mauvaise volonté et compromet la paix à moyen terme ? Rien n’est moins sûr. Certes, il peut faire valoir son soutien passé à l’opposition ivoirienne d’hier, qu’il a appuyée de sa position de secrétaire général de l’ONU, se posant quasiment en adversaire de Gbagbo. Mais l’expérience a montré que ce n’est pas la reconnaissance qui étouffe Ouattara. De plus, rien ne prouve que Kofi Annan n’est pas animé par le désir de faire un «coup politique», ou alors d’aider Ouattara à se légitimer en 2015, en orchestrant une médiation biaisée au bout de laquelle l’opposition sera face à un dilemme : accepter un mauvais compromis 100% bon pour le pouvoir, ou apparaître comme l’obstacle à la paix et à la réconciliation. C’est le logiciel qui a été utilisé par le passé contre Gbagbo. Il pourrait servir à nouveau contre son parti.