Abidjan - L’ex-Première dame Simone Gbagbo, sortie lundi de quatre années de silence, a dominé sans faillir son procès pour "atteinte à la sûreté de l’État", se livrant parfois à une diatribe enflammée contre la France et le régime ivoirien actuel.
En neuf heures d’audience, jamais la très controversée épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo n’a semblé être mise en danger. Faute de preuves concrètes, l’accusation l’a laissée distribuer bons et mauvais points au cours d’une journée totalement maîtrisée.
"Ca, c’est une bonne question", a-t-elle complimenté un avocat de la partie adverse. Ensuite : "je souhaiterais qu’on me pose des questions précises. On se retrouvera un jour autour d’un café, d’un colloque, mais pas aujourd’hui", suscitant l’hilarité générale.
Le ton était donné dès les premiers instants du procès. "A l’heure où je vous parle, je ne sais pas exactement quels sont les actes matériels qu’on me reproche", observait-elle posément.
Confrontée plus tard à cinq témoins, dont deux affirment l’avoir vue livrer des armes à des jeunes d’Abidjan, Simone Gbagbo a calmement nié. "Je ne me reconnais pas dans les faits. Je ne connais pas ces personnes".
"Elle a montré au monde entier et à l’opinion nationale qu’elle n’avait commis aucune infraction. Elle avait envie de dire sa part de vérité et l’a très bien fait", s’est réjoui Rodrigue Djadjé, l’un de ses avocats, en sortie d’audience, tard dans la soirée.
"L’accusée n’a rien dit d’essentiel. Elle a passé son temps à nier. (...)
Mais les faits sont têtus. Les armes ont bel et bien été livrées et des exactions ont été commises", a au contraire estimé Coulibaly Soumalo, qui représentait l’Etat ivoirien.
La "Dame de fer" ivoirienne, souriante à son arrivée au tribunal, a rapidement lancé la polémique: "Laurent Gbagbo est le vainqueur de la présidentielle de 2010", a-t-elle affirmé, comme tous les caciques pro-Gbagbo jugés dans cette affaire.
Quatre ans après la crise postélectorale de 2010-2011 qui avait embrasé la Côte d’Ivoire, l’identité du gagnant de la présidentielle de décembre 2010 était à nouveau questionnée par l’un des principaux protagonistes.
’De quoi le président Sarkozy se mêle-t-il ?’
Le refus de reconnaître la victoire de l’actuel chef de l’État Alassane Ouattara par le président sortant Laurent Gbagbo a provoqué de sanglants affrontements entre les deux camps, qui ont fait plus de 3.000 morts en cinq mois.
Dans sa robe en pagne à motifs vert et marron, Simone Gbagbo, qui fut autant redoutée par ses opposants que vénérée par ses partisans durant les 10 ans de règne de son mari, s’est également livrée à un pilonnage en règle de la France et du régime en place.
La France, dont l’armée s’en est prise au cours de la crise postélectorale aux forces loyales à Laurent Gbagbo, permettant qu’il soit renversé par des troupes favorables à Alassane Ouattara, était particulièrement visée.
"De quoi le président Sarkozy se mêle-t-il?", s’est interrogée l’ex-Première dame, 65 ans, dénonçant "l’ingérence des autorités françaises" dont l’armée a, selon elle, "bombardé la résidence présidentielle pendant une dizaine de jours alors qu’aucune résolution de l’ONU ne lui donnait ce pouvoir".
Les "troupes rebelles" de "M. Soro (Guillaume, l’actuel président de l’Assemblée nationale) et d’ADO" (Alassane Dramane Ouattara), "appuyées par l’ONU et les forces françaises, ont massacré des populations civiles, humilié des représentants de l’État", a-t-elle assuré.
Simone Gbagbo, surnommée la "Dame de fer" ivoirienne, ne s’était pas exprimée publiquement depuis son arrestation le 11 avril 2011, lorsqu’elle était apparue les tresses arrachées et le visage fermé aux côtés d’un Laurent Gbagbo hagard, vêtu d’un simple maillot de corps.
"J’ai été battue avec une violence inouïe" lors de l’interpellation, affirme-t-elle à la barre.
Mme Gbagbo est la dernière des 83 accusés d’un procès fleuve pour "atteinte à la sûreté de l’État" à être entendue. Ce procès reprendra lundi, avec les plaidoiries et les réquisitions.
Elle est également accusée de "crimes contre l’humanité" par la Cour pénale internationale (CPI), comme son époux qui y sera jugé en juillet.
Mais Abidjan refuse le transfèrement de l’épouse à la CPI, assurant que la justice ivoirienne est en mesure de la juger de façon impartiale.
La société civile, qui critique les nombreux ratés de ce procès, dénonce une "justice politique" et une "justice des vainqueurs", aucun cadre pro-Ouattara n’ayant été inquiété alors que les deux camps ont commis des exactions.
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Photo:AFP / L’ex-Première dame Simone Gbagbo, sortie lundi de quatre années de silence, a dominé sans faillir son procès