Le 17 juillet 2018 marque le 20e anniversaire de l'adoption du Statut de Rome. En prélude à cette commémoration, Nouhoum Sangaré, chef des Bureaux de la Cour pénale internationale (Cpi) en Côte d'Ivoire et au Mali fait le point sur l'affaire Gbagbo et Blé Goudé tout en donnant les grandes articulations de cet anniversaire. Extrait.
Votre Bureau initie, ces derniers temps, une campagne de sensibilisation d’envergure, à travers le pays. Qu’est-ce qui motive ces actions de proximité ?
La publicité des procédures est cruciale pour garantir l'équité du procès. A cette fin, des efforts spéciaux sont entrepris quotidiennement par la Cour dans les pays où elle enquête afin de rendre les procédures accessibles aux populations, y compris les communautés affectées par les crimes présumés commis en Côte d’Ivoire. La Cour élabore et diffuse des programmes audiovisuels permettant aux Ivoiriens de suivre et de comprendre les procédures judiciaires se déroulant à La Haye. La Cour continuera sa campagne d'information, notamment par le biais des radios et des télévisions, pour atteindre les médias nationaux, et via les radios communautaires. En outre, le personnel de la Cour organise des sessions de sensibilisation avec des groupes-clés afin d'encourager la participation du public à un débat interactif et d’entendre les préoccupations et attentes des communautés locales.
A quel niveau se trouve l’enquête ouverte sur les événements de 2002 en Côte d’Ivoire ?
Comme Mme le procureur et son bureau l’ont indiqué à plusieurs reprises, nos enquêtes en Côte d’Ivoire se poursuivent. Le Bureau du procureur concentre, en ce moment, ses ressources sur les événements les plus récents de la crise ivoirienne.
Qu’avez-vous à dire aux victimes qui s’impatientent depuis sept ans ?
Tout en réitérant la détermination de Madame le procureur à faire tout en son pouvoir pour mener son enquête de la manière la plus objective et la plus efficace possible, nous comprenons néanmoins le sentiment d’impatience des victimes. Encore une fois, l’enquête dépend de facteurs qui lui sont propres et qui influent sur le temps mis pour collecter les éléments de preuve. Ainsi que Mme le procureur l’a rappelé à plusieurs occasions, son enquête suit son cours et au moment opportun, le Bureau du procureur ne manquera pas de communiquer toute information qu’il jugera utile et opportun de rendre public.
Le président Ouattara a clairement dit qu’il n’enverrait plus aucun Ivoirien à la Cpi. Que dit la Cpi et qu’en est-il du cas de Simone Gbagbo ?
Nous ne pouvons pas spéculer sur une possible future non-coopération d’un Etat. La Côte d’Ivoire a d’une façon constante coopéré avec la Cpi, y compris pour la remise de M. Laurent Gbagbo et de M. Charles Blé Goudé à la Cour, pour les activités d’enquêtes et autres demandes. De façon générale, si un Etat partie au Statut de Rome refuse de coopérer avec la Cpi en violation de décisions des juges de la Cour, il revient aux juges de le constater et d’en référer le cas échéant à l’Assemblée des 123 Etats parties pour prendre toute mesure qui serait jugée nécessaire pour garantir la coopération. Concernant Mme Gbagbo, le mandat d’arrêt délivré par les juges de la Cpi en février 2012 à son encontre est encore en cours, d’autant que les juges de la Cpi ont confirmé la recevabilité de cette affaire devant la Cour. Cela signifie que la Côte d’Ivoire demeure dans l’obligation de remettre Mme Simone Gbagbo à la Cour. Mme Gbagbo est suspectée de quatre chefs de crimes contre l’humanité prétendument commis entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 dans le contexte des violences post électorales en Côte d’Ivoire. Si les autorités souhaitaient soulever à nouveau la question de la recevabilité de cette affaire devant la Cpi du fait de l’existence d’un procès au niveau national, il faudrait d’abord demander l’autorisation des juges de la Cpi pour présenter à nouveau une telle demande.
Quelle est aujourd’hui la situation des personnes du camp Ouattara sur lesquelles pèsent des soupçons ?
Les enquêtes sont confidentielles à la Cpi. Cela est valable dans tous les systèmes juridiques du monde. Comme cela a été dit, l’enquête est en cours, le Bureau communiquera en temps opportun si cela devait se justifier. Il faut rappeler l’importance que le Bureau attache à la nécessité de mener des enquêtes approfondies et de baser toute décision sur des éléments objectifs et étant guidés exclusivement par des éléments de preuves pertinents et par le droit tel qu’il ressort du Statut de Rome de la Cpi, qui est le texte de référence pour le travail de la Cour.
La Cpi envisage-t-elle de poursuivre d’autres personnes en Côte d’Ivoire, alors que le président Ouattara affirme que la justice ivoirienne est maintenant outillée pour conduire des procès équitables ?
L’enquête du Bureau du procureur en Côte d’Ivoire concerne toutes les parties impliquées dans la crise post-électorale. Outre l’affaire pendante devant la Cpi concernant M. Laurent Gbagbo et M. Blé Goudé, le Bureau du procureur poursuit son enquête relativement aux crimes présumés imputables aux forces pro-Ouattara. Le Bureau du procureur de la Cpi mène son enquête en toute objectivité. En même temps, en vertu du principe de complémentarité, la Côte d’Ivoire a la responsabilité première de poursuivre les auteurs présumés de crimes relevant de la compétence du Statut de Rome. Le Bureau du procureur encourage l’Etat ivoirien à se doter de moyens nécessaires afin de s’acquitter de cette responsabilité tout en coopérant pleinement avec le Bureau dans le cadre de ses enquêtes et poursuites.
Est-ce que des mandats d’extradition sont en attente contre d’autres personnalités en Côte d’Ivoire ? Si oui, à quand la levée des scellés sur les mandats d’arrêt contre les présumés auteurs de crimes du camp Ouattara pour faire taire les critiques de justice à deux vitesses à la Cpi ?
L’enquête en Côte d’Ivoire se poursuit et au moment opportun, le Bureau du procureur communiquera toute information qu’il jugera utile et opportun de rendre public. En effet, compte tenu des exigences de confidentialité qui caractérisent toute enquête judiciaire, nous ne sommes pas en mesure de vous en dire plus...
Le Président Laurent Gbagbo