Les juges de la Cour pénale internationale ont autorisé l’ex-président ivoirien et son ancien ministre à demander l’acquittement suite à la clôture du dossier de l’accusation. Des audiences sont prévues le 10 septembre.
Dès les prémices de l’affaire Gbagbo, les juges de la Cour pénale internationale ont demandé à l’accusation de revoir sa thèse. De l’étayer dans le détail, et d’en apporter la preuve. En 2013, déjà, ils avaient refusé de mettre en accusation l’ancien président et son co-accusé, Charles Blé Goudé, forçant le procureur à revenir devant eux avec un dossier - à peine - plus étayé, quelques mois plus tard.
Le scénario des derniers mois dans l’affaire Gbagbo est à bien des égards similaire. Après deux ans de procès, le substitut du procureur, Eric McDonald, avait, le 19 janvier, appelé à la barre son 82e et dernier témoin. Peu après son interrogatoire, les juges avaient demandé au procureur de leur remettre un mémoire précisant sa thèse, sur la base des témoins entendus à La Haye et des pièces enregistrées au dossier. En substance, les trois magistrats laissaient entendre que la thèse de l’accusation n’était pas en phase avec le dossier présenté devant eux pendant deux ans.
Au lieu de saisir l’opportunité de reformuler ses accusations, le substitut Eric McDonald s’est enferré dans son récit initial. « Malgré quelques changements mineurs concernant un nombre limité d'allégations, le récit global est resté essentiellement le même que celui qui figurait dans le mémoire préalable » au procès ouvert en janvier 2016, reprochent les juges dans une décision rendue le 4 juin. Les magistrats critiquent aussi les allégations imprécises et les répétitions du procureur. Le procureur refuse de modifier son récit des événements de 2010/2011, au risque que soient acquittés, au moins partiellement, les deux accusés.
Une crise politique qui a fait plus de 3 000 morts
La crise politique qui a endeuillé la Côte d’Ivoire, faisant selon l’ONU plus de 3 000 morts, est pour l’accusation le résultat d’un complot à sens unique dans lequel l’ancien chef d’Etat aurait volontairement ciblé les civils. Il fait l’impasse sur la présence de la rébellion favorable à Alassane Ouattara et donne au final le visage d’une guerre éloigné de la réalité. Pour le substitut du procureur, Eric McDonald, Laurent Gbagbo a mis sur pied une politique criminelle destinée à conserver le pouvoir au prix de meurtres, de viols, de persécutions et d’autres actes inhumains, ciblant les partisans de son adversaire à la présidentielle de 2010, Alassane Ouattara. Pour ce faire, l’ex président ivoirien aurait établi un système de commandement parallèle au sein des forces de sécurité ivoiriennes. Le tout, avec son « cercle » proche, dont sa femme, Simone Gbagbo, poursuivie par la Cour mais jamais transférée par les autorités ivoiriennes à La Haye, et Charles Blé Goudé, son co-accusé.
Depuis le 1er juin, date officielle de clôture de l’accusation, les deux accusés auraient dû, à leur tour, présenter leurs propres témoins pour contrer la thèse du procureur. Mais en mars dernier, leurs avocats demandaient à la Cour d’en finir là, de les autoriser à demander l’acquittement. Aucune preuve « susceptible de justifier une condamnation » n’a été présentée au cours du procès, disaient les avocats de Charles Blé Goudé, maîtres Claver N’Dri et Geert Knoops. Quant à l’avocat de Laurent Gbagbo, maître Emmanuel Altit, il dénonçait une enquête « approximative » sans rien « de concluant », et dénonçait l’absence d’authentification de preuves fournies par le pouvoir en place, celui-là même qui a succédé à Laurent Gbagbo avant de l’envoyer à La Haye, en novembre 2011.
Les avocats pourront plaider l’acquittement
Dans leur décision du 4 juin, les trois magistrats acceptent donc que les avocats plaident l’acquittement. Ils demandent désormais aux défenseurs de l’ancien président ivoirien et de son ex-ministre de présenter « des observations concises et ciblées sur les questions de fait précises pour lesquelles, à leur avis, la preuve présentée est insuffisante pour justifier une déclaration de culpabilité et à l'égard de laquelle, par conséquent, un jugement d'acquittement total ou partiel serait justifié. » Les avocats ont jusqu’au 20 juillet pour présenter un mémoire expliquant « pourquoi il n'y a pas suffisamment de preuves susceptibles de justifier une condamnation ». Après quoi, le procureur et les représentants des victimes auront jusqu’au 27 août pour présenter leur propre mémoire, avant de venir défendre leurs arguments devant les juges, en audience publique, le 10 septembre.
Le code de procédure de la Cour ne prévoit aucun délai pour la décision. Une telle procédure de demande d’acquittement, à mi-parcours d’un procès, n’a précédemment été demandée que dans l’affaire William Ruto, le vice-président du Kenya. Les juges avaient mis près de trois mois avant de conclure au non-lieu. Dans ce dossier, ils n’avaient pas prononcé d’acquittement, estimant que l’affaire s’était effondrée en raison de pressions sur les témoins. Rien de tel dans l’affaire visant Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
CPI: les avocats de Gbagbo et Blé Goudé pourront plaider l’acquittement