Dans ses observations écrites finales dont la version « expurgée » a été rendue publique, hier vendredi, le procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, ne se départit pas de sa logique : établir, preuves à l’appui, que l’ancien président Laurent Gbagbo mérite d’être poursuivi devant la juridiction internationale pour crimes contre l’humanité commis dans le contexte de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire.
Bensouda accable Laurent Gbagbo, dans un document de 58 pages et répond, point après point, à la Défense qui a estimé que le Procureur n’apportait pas des réponses toujours claires et précises aux questions soulevées par les juges. La magistrate gambienne revient amplement sur la «hiérarchisation des modes de responsabilité » et le « plan commun » qui aurait été mis en place par l’ex-président et son entourage afin de demeurer au pouvoir. Fatou Bensouda écrit, au paragraphe 32 de son texte : « la Défense soutient que le Procureur n'a pas clairement défini le plan commun. Cependant, le plan commun est clairement défini dans le Dcc (…) il consiste à garder Gbagbo comme président par tous les moyens nécessaires, y compris l'utilisation de la force létale ».
Bensouda étaye sa position, au paragraphe 42 : «…Gbagbo savait les conséquences de la nomination de Charles Blé Goudé comme ministre de la jeunesse. Il savait les conséquences de l'utilisation de la milice Gpp avec comme chef Moussa Touré Zeguen (...) Il savait les conséquences de l'emploi de mercenaires étrangers libériens et autres. Il savait les conséquences du déploiement d'unités comme la Garde républicaine sous le commandement de Dogbo Blé pour faire face aux incidents d'ordre public. Il avait déjà utilisé ces groupes et individus dans le passé et il savait très bien que leurs méthodes avaient abouti à la violence et la mort de civils. En conséquence, il n'est pas toujours nécessaire que Gbagbo de transmettre des ordres explicites pour attaquer les civils pendant la crise post-électorale (…) ».
Le successeur de Luis Moreno Ocampo décrypte, à nouveau, certains messages de Laurent Gbagbo dans la période pré-électorale. Elle renvoie, dans le dossier, le discours que l’ex-président avait tenu fin août 2010, à la Compagnie républicaine de sécurité (Crs) de Divo. Gbagbo avait déclaré : «Il y en a qui sont là, ils cachent les bandits chez eux. Mais si tu caches les bandits, tu es bandit aussi. ».
Le Procureur demande un procès
Fatou Bensouda ne croit pas- à la différence de la Défense- que ce discours concernait exclusivement les problèmes de criminalité à dimension régionale. Elle signifie, au paragraphe 44 : « …ses références à des bandits età ceux qui sont contre la République doivent être lus dans le contexte des discours de son épouse Simone et d'autres membres de son cercle immédiat,qui ont toujours utilisé des termes tels que « bandits »pour faire allusion aux partisans d'Alassane Ouattara, notamment avec Simonese référant àOuattara comme « chef bandit» et Dogbo Blé parlant de l'Hôtel du Golfcomme un «refuge de bandits». L’utilisation de la même terminologiedans leurs discours n'est pas le fruit d’un hasard. Il est un exemple de lamise en œuvre coordonnée du plan commun ».
Au paragraphe 56, le procureur de la Cpi met les pieds dans le plat : « Gbagbo a également utilisé des mercenaires, les milices et les jeunes pro-Gbagbo en dehors des Fds lors des violences post-électorales, de manière organisée et hiérarchisée. Les membres du cercle immédiat de Gbagbo ont été impliqués dans le commandement, l'organisation et le soutien desdifférents éléments au sein dela structure globale. La preuve est queGbagboa vait déjà employé les principaux membres deson entourage, tels queBlé GoudéetDogboBlé pour coordonnerun grand nombrede cesmêmes groupes d'une manière organisée et structurée dans le passé ». Plusieurs incidents sont passés au peigne fin dans ce document à l’appui du Dcc : les attaques de Yopougon, Abobo ainsi que certaines attaques ciblées…
En tout, 39 incidents sont répertoriés. De nombreux témoins sont, par ailleurs, cités sous des noms de code. Fatou Bensouda écrit, en guise de conclusion : « le Procureur soutient que les éléments de preuve à l'appui de son document amendé contenant les charges, établit des motifs substantiels de croire que Laurent Gbagbo est pénalement responsable pour chacun des crimes reprochés. En conséquence, l'Accusation demande à la Chambre préliminaire de confirmer les accusations sur chaque mode de responsabilité énoncée dans le document amendé contenant les charges et de remettre M. Gbagbo à une Chambre de première instance pour le procès sur ces accusations ».
Les observations écrites finales du Procureur sur la procédure de confirmation des charges avaient été déposées, dans leur version originale, le 31 mars 2014. C’est qu’un nouveau calendrier avait été fixé dans l’affaireLe Procureur c. Laurent Gbagbo à la Cpi. Ce calendrier a été bouclé le 14 avril dernier, date à laquelle la Défense communiquait à la Chambre préliminaire ses observations écrites finales et d’autres documents afférents. Les juges ont 60 jours, à compter du 14 avril 2014, pour rendre une décision dans l’affaire. Ils diront si oui ou non il y a suffisamment de preuves pour confirmer les charges dans l’affaire et la renvoyer au procès.
CPI: Tout se complique pour Gbagbo - Photo à titre d'illustration