Le transfèrement de Charles Blé Goudé, ex-leader de la ‘’galaxie patriotique’’, à La Haye et sa comparution, le jeudi dernier, ont remis au goût du jour la question du sort réservé par le gouvernement ivoirien à l’ex-Première dame, Simone Gbagbo, poursuivie également par la juridiction internationale.
C’est une question de parallélisme des formes. Après plusieurs hésitations, Charles Blé Goudé, ex-leader des ‘’jeunes patriotes’’, arrêté le 17 janvier 2013 au Ghana puis extradé vers la Côte d’Ivoire avec plus d’un an de détention en « résidence protégée », a été transféré, samedi dernier à la Cour pénale internationale (Cpi).
Le gouvernement ivoirien a décidé en conseil des ministres, le 20 mars, du transfèrement de l’ancien président du Congrès panafricain des jeunes patriotes (Cojep) à cette haute Cour de justice. De ce qui précède, une interrogation mérite d’être posée. La Justice ivoirienne est-elle à même de juger les auteurs présumés des crimes postélectoraux de 2010-2011 ?
Le gouvernement ivoirien, par le biais du ministre de la Justice, Mamadou Gnénéma Coulibaly, n’a eu de cesse de dire que les juridictions sont désormais compétentes pour entendre tous ceux qui sont poursuivis dans le cadre des crimes postélectoraux. La Cpi est un organe subsidiaire, complémentaire des juridictions nationales qui, selon les statuts de Rome qui la régissent, n’intervient que lorsque le pays « ne veut pas ou bien ne peut poursuivre » le mis en cause. Mais dans le cas de la Côte d’Ivoire, a affirmé à plusieurs reprises le garde des Sceaux, « nous voulons et nous pouvons poursuivre ».
Pour joindre l’acte à la parole, dans un document daté du lundi 30 septembre 2013 et rendu public le lendemain, les avocats des autorités ivoiriennes assuraient que la Côte d’Ivoire est désormais en mesure de juger l’ex-Première dame, Simone Gbagbo et notaient qu’elle « doit être jugée devant la Cour d’assises d’Abidjan qui siègera prochainement ».
Aussi, le 20 septembre 2013, le conseil des ministres ivoirien, réuni en session extraordinaire, avait annoncé avoir décidé de présenter une requête en irrecevabilité et refusé par conséquent de transférer Simone Gbagbo. Ce qui a été fait. Dès lors, l’on est amené à se demander pourquoi Simone Goudé et pas Blé Goudé, au regard des similitudes des chefs d’accusation contre ces deux personnes ?
Le sort de Simone Gbagbo n’est-il pas déjà scellé ? Le gouvernement ne va-t-il pas faire volte-face, en ce qui la concerne ? Pour rappel, dix-sept chefs d’accusation avaient été notifiés en juin 2012, par le juge d’instruction Koné Mamadou, à l’ex-Première dame, présentement en résidence surveillée à Odienné. Il s’agit principalement de crimes de sang, crimes de guerre, crimes économiques, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de troubles à l’ordre public et d’entretien de bandes armées.
Charles Blé Goudé est, lui, poursuivi par la Cpi pour son rôle présumé en tant que coauteur indirect de quatre chefs d’accusation : meurtres, viols et autres formes de violences sexuelles, actes de persécution, et autres actes inhumains, constitutifs de crimes contre l’humanité, commis dans le cadre de la crise postélectorale à partir du 28 novembre 2010.
Sindou Bamba, président du Regroupement des acteurs ivoiriens de droits humains (Raidh), est formel : « Le cas Blé Goudé est différent de celui de Simone ». Pour lui, le transfèrement de l’ancien secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a été favorisé par le fait qu’il était déjà sous sanctions de l’Organisation des nations unies (Onu).
Il lui était interdit, notamment de sortir du pays. « Il est important que la justice ivoirienne se penche sur la situation de Mme Gbagbo. Si elle a les capacités de juger l’ex-Première dame, que cela se fasse le plus rapidement », a encouragé M. Bamba. Que ce soit en Côte d’Ivoire ou en Hollande, l’essentiel, a poursuivi notre interlocuteur, c’est que l’impunité ne soit pas cultivée. « Que tous ceux qui ont commis les crimes répondent de leurs actes devant les juridictions », a-t-il conclu.
Pour Me Hervé Gouaméné, membre du collectif des avocats de Mme Gbagbo, cette question ne devrait pas se poser. « Dans la mesure où le gouvernement lui-même a écrit à la Cpi pour dire qu’il a la capacité et qu’il souhaite la juger. Que voulez-vous que je dise d’autre ? », a-t-il réagi.
Il a assuré en tant qu’avocat, que depuis la fin de la crise postélectorale, les tribunaux fonctionnent correctement. Pour sa part, Séri Gouagnon, chargé des affaires juridiques à la direction du Front populaire ivoirien (Fpi) s’en est remis au pouvoir discrétionnaire des autorités ivoiriennes. « Je ne connais pas dans quel sens ils évoluent. Je ne suis pas membre du gouvernement », a-t-il coupé court.
Danielle Tagro
Crimes postélectoraux: L’Etat doit-il juger Simone Gbagbo ? - Photo à titre d'illustration