Au sortir de la crise post-électorale, les régions éprouvées par le conflit ont eu besoin d’un traitement de choc pour éviter la catastrophe nutritionnelle. Koné Lacina a 26 ans. Débout, lance-pierre en main, sur une terre busquée au milieu de sa rizière, il s’évertue à chasser les oiseaux qui affluent dans son champ pour prélever leur ration. Orphelin de père, cet ancien élève du lycée de Duékoué a abandonné les études en classe de troisième, faute de soutien. Son oncle, Koné Moussa, riziculteur professionnel, l’accueille en 2008 et lui apprend les ficelles du métier. En 2012, il obtient sa propre parcelle dans un bas-fond aménagé à la lisière de la ville de Duékoué. Son oncle l’aide, dans la foulée, à s’inscrire dans le «Programme d’urgence de réhabilitation et de relance des activités rizicoles dans les régions du Tonkpi, du Guemon et du Cavally » (Purrar-Tgc), lancé en 2011, par le gouvernement dans l’ouest du pays, pour redynamiser la riziculture dans ces régions, réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire consécutive au conflit qu’a connu le pays et améliorer les conditions de travail des communautés rurales les plus vulnérables. La première année, la terre se montre généreuse à son endroit. Sur 1/5 hectare, il récolte huit sacs de 110 kg. «Mes anciens condisciples ont du mal à croire que j’ai pu choisir de faire ce métier. Et surtout, de gagner mon indépendance financière en si peu de temps. Cette année, j’ai agrandi ma superficie. Grâce au projet Purrar-Tgc, j’ai pu réaliser cette superficie qui fait ¼ hectare», explique Koné Lacina. Dans son regard, on peut lire la fierté de bénéficier de ce programme qui lui donne une seconde chance de réussir sa vie.
Comme ce jeune déscolarisé, nombreuses sont les personnes de l’ouest ivoirien qui ont retrouvé l’espoir grâce au Purrar-Tgc. En effet, la crise post-électorale, la plus grave qu’a connue la Côte d’Ivoire indépendante, a eu un impact non négligeable sur l’accès à la nourriture, sur les moyens d’existence et les mécanismes de survie de la population en général et une frange de populations vulnérables en particulier (déplacées, familles d’accueil, retournés, ménages précaires, sinistrés, etc.). Selon un rapport du Hcr, en avril 2011, on enregistrait environ 1 million de personnes déplacées (sur un site et dans les familles d’accueil) et plus de 200 000 réfugiés. La vulnérabilité de ces ménages est accentuée par la précarité financière (faible pouvoir d’achat) et les difficultés d’accès aux produits alimentaires du fait d’une hausse particulièrement sévère des prix des denrées de première nécessité. Le Programme alimentaire mondial (Pam) a noté en janvier 2011, que par rapport à 2010, l’huile a augmenté de 27%, le lait en poudre de 28%, le sucre de 40%, le gaz butane de 35%, la tomate fraîche de 40% et des hausses moyennes mensuelles de l’ordre de 10% pour le riz importé de grande consommation et plus de 30% dans le mois d’avril 2011, pour l’ensemble des denrées alimentaires. Or déjà, les mois de novembre et de décembre 2010 se sont caractérisés par des augmentations du coût du panier alimentaire moyen mensuel par personne, à Guiglo au mois de décembre (8897 Fcfa) puis à Man (8285 Fcfa) et à Odienné (6187 Fcfa), selon l’étude de l’impact de la crise sur les marchés et le panier alimentaire, menée par l’organisation: Action contre la faim ou
( Acf ). Les analystes expliquent ces majorations de prix par la forte pression sur les disponibilités locales et l’arrêt des approvisionnements des marchés durant la période d’intenses affrontements (mars-avril).
Par ailleurs, les activités économiques et les sources de revenus des ménages agricoles (productions vendues à bas prix) ont été considérablement affectées, entraînant ainsi une insuffisance de liquidités pour faire face aux besoins essentiels comme la nourriture. A cela se sont ajoutés les problèmes d’accès aux intrants agricoles (hausse de 30 à 40% des prix du kilogramme de Npk et d’urée) et aux semences dus à une forte pression sur les disponibilités limitées (par l’auto-consommation, la vente ou le pillage de semences). Dans ces conditions, la relance de la production après la crise post-électorale était devenue quasi impossible pour les populations de l’ouest, notamment celles des zones ayant connu de fortes tensions. Surtout que celles-ci ont eu leurs moyens d’existence complètement ou partiellement détruits ou pillés.
« A la fin de la crise post-électorale, la région s’était vidée à 75% de sa population. L’Etat a initié le Purrar et confié son exécution à l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader) pour favoriser le retour des populations déplacées ou exilées, assurer leur sécurité alimentaire et les aider à relancer la riziculture », confie Koffi Gnanga Noël, le directeur région de l’Anader Man (Dr-Man). Démarré en juillet 2011, le Purrar a permis de réaliser, jusqu’en juin 2013, 1600 ha au niveau des périmètres irrigués. L’impact de la relance de l’activité rizicole a été immédiat: «Il a permis de baisser, un tant soit peu, le prix du riz sur le marché. Pendant la période de production, le riz était proposé à 320 F cfa contre 450, représentant le prix du riz importé sur le marché », soutient le Dr de l’Anader de Man. En outre, le Purrar s’est avéré un facteur important de cohésion sociale: il a permis, non seulement de faire revenir les populations dans leur lieu d’origine, mais il a fait cohabiter sur les mêmes périmètres, allogènes et autochtones que la crise, à un moment donné, avait opposées, explique Koffi Gnanga Noël. «Avec ce programme, on a réuni sur les mêmes sites, des populations qui travaillent ensemble pour produire, comme par le passé, dans un esprit de paix, de cohésion. Ce qui a favorisé le retour de ceux qui s’étaient exilés et qui hésitaient à revenir chez eux», soutient-il.
Dans sa formulation, le Purrar vise à apporter aux bénéficiaires les moyens nécessaires pour une riziculture intensive. Ainsi, le programme met à la disposition de ceux qui sont sélectionnés, des semences de riz à haut rendement (le Wita 9), de l’Urée, de l’engrais Npk, des pesticides, etc. En plus, les ménages qui ont tout perdu ont reçu des kits sociaux composés d’ustensiles de ménage, du riz blanchi, etc., et des kits de production (dabas, machettes, motoculteurs, bottes, etc.)
Le Purrar prend également en compte la commercialisation de la production. Dans ce cadre, afin de permettre aux riziculteurs de tirer le meilleur profit de leur travail, il est prévu un volet transformation. « Une chose est de produire, mais une autre est de bien vendre son riz. Il y a donc le volet appui à la commercialisation qui comprend la transformation et la vente sur le marché. Depuis 2013, l’Office national de développement de la riziculture (Ondr) a commencé à livrer des unités de transformation dans les régions de production. La construction des magasins pour abriter ces unités de transformation est en cours. La construction de l’entrepôt de Guiglo est déjà achevée. Cela va permettre de résoudre le problème de mévente du riz. Les unités de transformation vont être mises en place dans tous les départements, de telle sorte qu’à travers leurs coopératives, tous les producteurs puissent y livrer leur production. Le riz transformé leur permettra de valoriser leur activité car, aujourd’hui, le prix minimum du riz blanchi est de 320 F sur le marché. Or le riz paddy ne coûte que 100 F », soutient Koffi Gnanga Noël. En attendant de gagner mieux avec ce second volet du Purrar, les riziculteurs se disent déjà satisfaits du changement que ce programme apporte à leur vie. Sékou Souaré est l’un des heureux bénéficiaires du projet. Pour être sélectionné, il a satisfait aux critères établis par le programme : être un riziculteur professionnel et sinistré pendant la crise.
Installé dans un bas-fond à Duékoué, il exploite une parcelle d’un hectare. «Avant le Purrar, je produisais sur ce même périmètre 1,5 à 2 tonnes de riz au maximum. Aujourd’hui, avec l’aide du gouvernement, je fais 5 à 6 tonnes. Ce qui me permet de nourrir convenablement ma famille et de vendre une partie de ma récolte », affirme-t-il. L’impact immédiat du Purrar sur la vie des populations fait qu’il suscite un engouement dans toutes les régions cibles. Séa Tiémoko, chef du village de Boguiné ne cache pas sa joie d’avoir ce programme dans son village. «Nous sommes très heureux. Grâce au Purrar, nous ne connaissons pas de famine. Et puis, le Witta9 est un riz qui a un très bon goût. Je ne vous le cache pas. Des villages qui n’ont pas eu la chance d’être choisis nous envient», soutient il. Boguiné a été choisi parce qu’il possède déjà un périmètre irrigué aménagé. 32 exploitants dont le chef du village lui-même y exercent la riziculture. Au regard des bons résultats qui ont été obtenus, le village veut accroître son périmètre d’exploitation. Ce, à la grande joie de Sokouri Guy Betrand, le chef de zone qui encadre ces riziculteurs.
David Ya
Crise alimentaire : Purrar, Prarep, Pasa, ces programmes agricoles qui ont vaincu le fléau - Photo à titre d'illustration