Tongon – S’il est un phénomène qui évolue par cercles concentriques dans le Nord de la Côte d’Ivoire, ces derniers temps, c’est bien celui de l’exploitation illégale de l’or ou de l’orpaillage clandestin avec son corollaire de conséquences sur l’économie, sur la sécurité et sur l’environnement, affectant la santé des Hommes et des bêtes.
De l’invasion des villages à l’infiltration des familles d’accueil
L’installation des orpailleurs clandestins, avec un effet de contagion dans plusieurs localités du Nord ivoirien, se fait avec l’accord et la complicité des chefs de village ou de canton, les responsables des associations de jeunes à tout le moins des propriétaires terriens, accuse l’Administration centrale.
« L’orpaillage clandestin, c’est une réalité. Tous les villages du département de Boundiali sont concernés et même toute la région de la Bagoué », s’inquiète Gueu Georges Gombagui, préfet hors grade, préfet de la région de la Bagoué, préfet du département de Boundiali.
Face à un groupe de journalistes, le 24 avril, le représentant du Président de la République, entouré des secrétaires généraux 1 et 2 de préfecture et du sous-préfet de Boundiali, sortant à peine d’une réunion sur la question de l’orpaillage clandestin, affirme que cette activité occupe 300 000 personnes dans la région.
« Il faut partir de la situation des concernés. Quand un paysan Sénoufo fait le coton, pendant l’année souvent il sort avec des dettes. Ce monsieur, quand un opérateur de l’or vient, il lui achète une moto, il lui donne les tôles, il lui donne du ciment… de quoi changer complètement la vie de ce monsieur. A partir de ce moment, il n’est plus raisonnable. Tous les discours qu’on lui tient, c’est comme si on voulait lui arracher son bonheur. Et donc, de fil en aiguille, ça devient contagieux. Ton voisin, subitement, est devenu riche. Au nom de quel argument de sensibilisation tu vas résister au sentiment de tentation d’accéder aussi à cette fortune... Mais là, ils ne raisonnent pas parce que, ils ne savent pas que c’est dangereux … », observe le préfet. Pour lui, le paysan ne peut pas comprendre que ce qui se trouve dans le sous-sol de sa terre ne lui appartient pas.
« Ce qui fait que l’orpaillage est difficile à combattre, c’est l’adhésion des populations. (…) Tant que les populations n’adhèrent pas au combat, ça va être très difficile », admet l’administrateur civil qui gouverne la région depuis seulement deux mois. Il met à nu la nouvelle stratégie adoptée par les orpailleurs consistant à avoir des tuteurs dans les villages, s’infiltrant ainsi dans la population.
Sur les traces d’orpailleurs clandestins
Seydou Nord, un site d’orpaillage situé 6 à 7 km à vol d’oiseau de la mine de Tongon. Dimanche, 23 avril 2017. Il est 10H59’ lorsqu’un groupe de journalistes conduits par M. Kouadjo Alain, directeur du département Mineral Resources (Ressources minérales) de Tongon SA qui est accompagné de N’Guessan (Exploration), Sean (Exploitation) et Ouattara Ouoli (Sécurité), arrivent sur les lieux, escortés par deux gendarmes discrets.
Quelque 500 personnes s’adonnent à l’activité d’orpaillage sur cette carrière localisée dans le campement de Ziévogo, dans le village de Kofiplé (sous-préfecture de Diawala, département de Ouangolodougou).
Sur cette mine de Seydou (nom donné par Randgold Resources), les ressources sont estimées à 70 000 onces, selon les dernières estimations de 2016, révèle Kouadjo Alain. Les orpailleurs illicites y exploitent déjà le précieux métal jaune.
De la boue à l’or, tout un processus
Une fois installés sur les sites que leur cèdent les villageois, les orpailleurs clandestins, issus en quasi-totalité du Mali et du Burkina Faso, aux dires des autorités, disposent de la terre comme bon leur semble.
L’exploitation artisanale de l’or à laquelle ils s’adonnent est un véritable travail à la chaîne. La tâche consiste à creuser des trous de 10 à 15 m de profondeur voire plus, à travers des outils artisanaux (houes, pioches, pelles…). Les pierres qui sortent de ces boues passent d’abord au concassage, puis au broyage et enfin à la laverie où elles sont traitées avec des produits chimiques pour en extraire éventuellement l’objet de convoitise.
« C’est loterie. Souvent c’est gagné ou perdu », lance un laveur, Adama Sawadogo, qui annonce deux grammes (2 gr) d’or par sac quand l’activité est fructueuse, sinon, dit-il, il est possible de travailler pendant un an et ne rien trouver.
Un business juteux : de l’économie parallèle au marché noir
Quand bien même le patron du site d’orpaillage clandestin de Seydou Nord, Amadé Yabao, déplore la faible teneur en or, le trafic du métal jaune est juteux pour tous les acteurs de la chaîne. Il annonce une moisson journalière de 63 à 64 gr d’or pour tout le site, à raison de 12.500 FCFA le prix d’achat par gramme. Soit entre 787 500 FCFA et 800 000 FCFA de recette quotidienne.
Le même gramme est vendu à 30 000 FCFA au Burkina Faso, souffle un autre orpailleur qui souligne que certains d’entre eux préfèrent donc traverser la frontière nord pour aller vendre leur butin.
La ruée vers l’or occasionne une véritable économie parallèle. Autour de la mine clandestine, se greffent divers opérateurs qui se frottent les mains.
Concernant les activités liées à l’extraction, chacun y gagne sa part. Par exemple, un sac est concassé à 3 000 FCFA, témoigne David Sondo, entre deux coups de marteau, ajoutant concasser entre trois et quatre sacs par jour. Le sac ainsi concassé est acheminé au broyage. Ahmed Yego affirme broyer 100 sacs de pierres concassées par jour à raison de 10 000 FCFA le sac. Le sac broyé passe à la laverie. Là, Adama Sawadogo indique laver le sac de pierre concassé à 10 000 FCFA pour 10 sacs par jour.
« On se demande si tout cela n’est pas bien organisé », résume Alain Kouadjo qui y voit un réseau.
A côté des orpailleurs clandestins, pullulent de nombreux petits commerçants.
Un vendeur d’eau et de jus vendus le sachet à 50 FCFA se retrouve avec 35 000 FCFA à la fin de la journée. Un autre, venu du Mali, a pour activité de puiser de l’eau dans un puits pour le vendre aux orpailleurs. Il fait quatre à cinq voyages de mototaxi par jour à raison de 25 à 30 bidons (20 L) par charge. Le bidon est acheté à 250 FCFA sur place. Ce qui fait au moins 31 250 francs/jour s’il ne vend que 25 bidons en cinq voyages.
Le site grouille de monde : des vendeuses de galettes, d’attiéké – poisson ou d’autres mets, de savon en poudre ou de « lalan », un produit utilisé pour rendre propre l’eau de lavage du sable obtenu après le concassage des pierres. La petite Balogo Koné, venue de Korhogo et chargée de surveiller la progéniture d’un couple d’orpailleurs pour un salaire reversé à son père et dont elle ignore le montant, un griot tanneur dont le travail consiste à emballer les amulettes dans du cuir, des « dozos », chargés d’assurer la sécurisation de la carrière… Tous disent voir leur vie changer grâce à cette activité.
Création d’une nouvelle classe sociale villageoise
Le trafic autour de l’exploitation illégale donne naissance à une nouvelle race de « riches » dans les villages d’accueil. Toutefois, force est de constater que cette richesse n’est aucunement partagée car ne profitant qu’à quelques individus.
Au contraire des compagnies d’exploitation et d’exploration minières telles que Randgold Resources qui fait du développement communautaire une passion, dans les villages envahis par les orpailleurs clandestins, seul un groupuscule tire bénéfice de cette activité illicite.
Dans le village de Fodio, à une trentaine de kilomètres de Boundiali, au moins 4 000 personnes s’adonnent à l’orpaillage clandestin dans une carrière située non loin. Si l’équipe de journalistes a renoncé, le 24 avril à s’y rendre après près de trois heures d’un périple parti de Tongon à cause du climat d’insécurité qui s’y dégage, le constat est clair dans le village.
Les orpailleurs sont visibles partout dans le bourg. On les reconnaît leur tenue et à leurs corps badigeonnés de boue. Certains portent des torches sur le front, en pleine journée. Qui, en train de faire des emplettes au marché du village, qui, à moto. Ils vivent à pleine allure, cigarette en bouche ou portables en main.
Des hordes de clandestins quittaient la carrière en plein midi, ayant suspecté une opération de déguerpissement en cours. Ils portent leur matériel à bout de bras : des outils mais aussi des panneaux solaires, des ventilateurs, des batteries… de quoi supporter la canicule sous les bâches dressées dans les carrières.
Dans ce village, le lot est vendu à 200 000 FCFA aux orpailleurs, relève le préfet de la région de la Bagoué et du département de Boundiali, Gueu Georges Gombagui. « Un clandestin ne peut pas réaliser des infrastructures publiques », tranche le représentant de l’Etat qui souligne qu’il y a trop de tractations autour de cette activité illégale.
Les bénéficiaires des largesses de ces opérateurs sont généralement les chefs de village, les responsables des associations des jeunes, les propriétaires de terre. Des maisons en dur sortent de terre à plusieurs endroits du bourg. Désormais, les orpailleurs traitent l’or dans les villages comme Fodio où ils paient entre 2 000 et 5 000 par jour aux propriétaires des cours. Toutes choses qui entraînent des conséquences néfastes à divers niveaux.
L’impact de l’extraction hors norme de l’or
« L’orpaillage clandestin, c’est un mal parce que tel qu’il est pratiqué dans le département de Boundiali et même dans toute la région de la Bagoué, c’est une évasion très importante de la richesse nationale, à tel point que la main-d’œuvre agricole disparaît au profit de l’orpaillage », regrette le préfet hors grade, Gueu Georges Gombagui.
« Ces personnes s’installent avec l’accord des chefs de terre. Ils utilisent des produits chimiques sans contrôle, ne paient pas de taxe, s’adonnent à des abus dans l’utilisation des travailleur (enfants), en plus des risques divers sur l’environnement », résume le président – directeur général de Randgold Resources, Mark Bristow, lors d’une conférence de presse à Tongon, le 23 avril 2017.
Au-delà des pertes des ressources économiques et financières, l’extraction illégale de l’or cause d’autres méfaits en raison de la dangerosité des produits chimiques utilisés pour traiter l’or.
Le mercure et le cyanure sont déversés dans l’eau qui contamine à son tour la nappe phréatique, avec des conséquences sur la santé et sur l’environnement. Des bêtes (bovins, ovins, porcins, volaille) meurent en cascade après avoir consommé l’eau contaminée par ces produits dangereux.
« Quelque chose qui a tué un bœuf de 300 kg, un homme de 70 kg ne peut pas résister », fait remarquer le préfet de la région de la Bagoué. « J’ai peur que d’ici cinq ans, des formes de maladie qu’on ne connaît pas ici apparaissent, si on n’y prend garde », enchaîne la première autorité administrative de Boundiali.
Il y a aussi les risques d’éboulement. En plus, les animaux voire les hommes tombent dans les trous laissés ouverts par les creuseurs, après l’extraction de terre.
Le préfet Geu Georges Gombagui anticipe sur un autre péril que fait planer ce phénomène. « L’autre danger, c’est qu’il y a un plus fort qui règne sur les autres (dans les sites d’orpaillage). J’ai peur qu’un jour, les frustrations accumulées n’entraînent des affrontements sanglants », prévient-il.
Certaines personnes vont jusqu’à faire le lien entre les orpailleurs clandestins et les « coupeurs de route », ces bandits de grand chemin qui sèment la désolation et la mort sur nombre de tronçons routiers à travers le pays.
L’application stricte de la loi, pour mettre fin au fléau
De 2013 à 2015, des opérations de déguerpissements se sont déroulées sur les sites d’orpaillage clandestin. Mais, quelques mois après la fermeture des sites d’exploitation illégale de l’or, il y a eu un phénomène de recolonisation avec la complicité des villages d’accueil, déplore le préfet de Mbengué, Claude Djiké, interrogé le 23 avril 2017 à Tongon.
Insistant sur la complexité du phénomène, le préfet de Mbengué, un département qui compte sept sites clandestins, estime que « force doit rester à la loi » pour faire respecter les droits des compagnies agréés qui se voient spolier de leur propriété par des clandestins sans foi ni loi.
Pour faire face à la menace, l’administrateur civil propose une alternative. Soit la création d’une brigade mixte dédiée à la lutte contre l’orpaillage illégal (en étude), soit le retour de la légion de gendarmerie de Korhogo sur les sites concernés, dit-il, annonçant des réunions en cours pour cela.
« L’Etat a les moyens de faire fermer les sites. Nous viendrons à bout de ce flux et reflux. Le temps de la sensibilisation est finie, arrive celui de la répression », martèle le préfet de Mbengué.
Une porte de sortie dans le but d’organiser l’orpaillage
« Le Code minier organise le métier d’orpailleur » en Côte d’Ivoire, constate le PDG de Randgold Resources, Dr Mark Bristow, invitant l’Etat à prendre une décision forte pour mettre fin à l’exploitation illégale de l’or.
Tout en assurant que sa compagnie est prête à y contribuer, Mark Bristow préconise que les Etats de l’Afrique de l’Ouest trouvent des solutions qui puissent être appliquées à l’ensemble de la sous-région. Au Mali, le Gouvernement a installé les orpailleurs sur des corridors pour qu’ils puissent exercer sous contrôle, observe le PDG de la compagnie africaine implantée au Mali et en RDC.
« Nous déplorons tous cette situation (d’orpaillage clandestin) car ils ne font pas le travail dans l’art », temporise le député de la circonscription de Diawala - Niellé - Toumoukoro, Sanogo Mamadou, regrettant les problèmes sur la santé et l’environnement qui en découlent. « S’ils avaient toutes les conditions de le faire, le problème n’allait pas se poser », énonce l’élu.
« Les orpailleurs viennent faire des propositions aux populations. Que l’Etat prenne ses responsabilités et donne l’autorisation à ceux qui peuvent faire le travail », plaide le député qui dit continuer la sensibilisation auprès de ses mandants afin d’éviter de prendre l’argent qui ne peut pas servir leurs arrières.
L’orpaillage illégal gêne l’activité de l’exploitation légale, souligne le préfet de Mbengué. « L’Etat a engagé le Plan de rationalisation dans l’orpaillage en 2013. Il faut cesser dans un premier temps l’activité et voir les Nationaux qui veulent exercer dans la légalité. C’est ce processus d’arrêt et de régulation qui est engagé », précise Claude Djiké.
Selon le préfet de la région de la Bagoué, Gueu Georges Gombagui, la liste qu’il venait de recevoir fait état de 98% d’étrangers venus de pays voisins pour s’adonner à l’orpaillage clandestin dans sa circonscription administrative. Dans la lutte contre ce phénomène, « aucune action isolée ne peut aboutir », estime le préfet hors grade qui entend manier la carotte et le bâton, à travers la poursuite de la sensibilisation à l’endroit des cadres, élus et populations d’une part et faire appliquer la loi aux contrevenants qui seront pris en train d’exercer sur les sites d’extraction illégale de l’or, d’autre part.
(Coulibaly Maryam/AIP)
(Encadré)
Tongon. "Welcome to gold country/ Bienvenue au pays de l’or", peut-on lire sur une pancarte à l’entrée de la mine d’or encerclée de grillage, exploitée par la société d’exploration Randgold Resources.
Implantée depuis quelques années dans le périmètre du village de Tongon situé à une soixantaine de kilomètres de Korhogo (Nord, région du Poro), cette compagnie qui a coulé son premier lingot d’or en 2010 doit son existence en terre ivoirienne à la vision, à la volonté, à la détermination et surtout en la confiance d’un homme. Dr Mark Bristow qui, depuis sa première visite en Côte d’Ivoire en 1992, a obtenu grâce au soutien de ses partenaires et à la bonne disposition des autorités successives, la construction de l’usine et l’ouverture de la mine entre 2008 et 2010.
En plus des nombreux investissements -continuels- dans le cadre de l’exploration et de l’exploitation aurifère, la plus grande compagnie du genre opérant en Côte d’Ivoire s’investit dans le développement communautaire notamment dans les villages riverains. Entre autres, le financement sur fonds propres de la ligne électrique Tongon – Korhogo à hauteur de 28 millions de dollars US (en attente de remboursement par l’Etat ivoirien), l’adduction d’eau potable à travers l’installation de pompes villageoises, la construction d’écoles, de centres de santé et de maternités avec logement des agents affectés, la création d’activités génératrices de revenus (élevage, projets agricoles, etc.), la construction de routes et de diverses infrastructures sociocommunautaires, l’équipement des structures sécuritaires nationales (gendarmerie, police…), des dons. A ce jour, le montant global des investissements communautaires s’établit à 7,9 millions de dollars, soit 4,37 milliards FCFA hormis les projets communautaires à financer pour 2017, à hauteur de 227, 7 millions FCFA notamment dans les villages de Sékonkaha, Poungbè, Mbengué, Korokara, Tongon, Kationron, Katonon et éventuellement à Kofiplé. Avec les exploitants illégaux de l’or qui infestent des sites de Tongon SA non encore exploités, l’on se demande alors ce qui justifie leur installation dans les villages, avec la complicité avérée des chefs de village, de canton ou de propriétaires terriens soutenus par les populations.
cmas
Dans les sillons des orpailleurs clandestins dans le Nord ivoirien