Un livre à paraître mercredi révèle que 25 évêques français ont couvert pendant des années une trentaine de prêtres auteurs d'abus sexuels qui ont fait plus de 300 victimes. Selon cette enquête de Mediapart, cinq d'entre eux sont toujours en poste.
Après l'affaire de Lyon qui a écorné l'image du cardinal Barbarin, de nouvelles révélations mettent en cause des prêtres et évêques catholiques dans des affaires de pédophilie, en France et jusqu'au Vatican.
Avec moins de 0,5 % de prêtres accusés d'abus sexuels sur mineurs, selon la Conférence des évêques de France (CEF), la France semble moins touchée que les États-Unis, où les accusations de pédophilie ont visé 4 % des prêtres entre 1950 et 2002, et l'Australie où ces soupçons en ont concerné 7 % entre 1950 et 2010.
Des chiffres "succints", selon trois journalistes indépendants associés au site d'information Mediapart, Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse. Ils ont mené une "contre-enquête avec un angle nouveau : celui des agresseurs couverts par l'Église". Des chiffres qui dessinent selon eux un "Spotlight à la française", du nom du film sur l'énorme scandale révélé par la cellule d'investigation du Boston Globe au début des années 2000.
Selon leurs recoupements, 32 agresseurs actuellement en vie et ayant fait 339 victimes ont été couverts par 25 évêques, dont certains sont aujourd'hui en retraite ou décédés.
Leur enquête, développée dans un livre publié mercredi ("Église, la mécanique du silence", aux éditions JC Lattès), a été menée en partenariat avec "Cash Investigation". L'émission de France 2 diffuse mardi à 20 h 55 un film documentaire de Mathieu Boudot intitulé "Pédophilie dans l'Église : le poids du silence", fruit d'une enquête de près d'un an.
Le pape François accusé
L'équipe d'Élise Lucet évoque un "système" d'"exfiltrations internationales" de prêtres ou religieux pour éviter le scandale, avec à l'appui une cartographie faisant état de 95 mutations depuis 1990, à l'échelle mondiale, de clercs pour lesquels 802 victimes ont été recensées.
"Cash Investigation" n'épargne pas le pape François, réputé pour sa politique de "tolérance zéro" à l'égard de la pédophilie. Avec des conditionnels, l'émission glisse que Jorge Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, "aurait tenté de faire innocenter un prêtre jugé pour pédophilie", le père Julio César Grassi, en transmettant à la justice une contre-enquête à décharge avant son procès en appel en 2010.
L'accusation donne lieu dans le documentaire à un dialogue assez surréaliste entre Élise Lucet et le pape, lors d'une audience générale place Saint-Pierre à Rome. "Dans le cas Grassi, avez-vous tenté d'influencer la justice argentine ?", lui demande la journaliste. Le pontife, manifestement surpris, fronce le nez et répond : "Pas du tout".
Selon l'émission, 18 prêtres condamnés pour agressions sexuelles sur mineurs ou viols en France "sont toujours en activité au sein de l'institution catholique".
La CEF a refusé d'envoyer un représentant au débat qui doit suivre le documentaire, jugeant que cette "mécanique du scandale vendeur" cherche "l'accusation de l'Église" bien "plus que l'attention aux victimes".
"Sur la question douloureuse de la pédophilie, l'Église s'engage avec sincérité dans une opération de vérité et de lutte. Ces méthodes d''investigation' ne visent qu'à prouver le contraire", a regretté le porte-parole adjoint de la conférence, Vincent Neymon, rappelant les mesures prises (cellules d'écoute des victimes, commission d'expertise indépendante...) en avril 2016.
Avec AFP
© Pascal Pavani, AFP (archives) | Des évêques réunis à Lourdes pour la conférence épiscopale, le 7 novembre 2016.