Selon les estimations, le président de la Côte d'Ivoire devrait être réélu dès le premier tour après l'élection de dimanche.
Il n'y avait pas de lourd suspense, mais le président ivoirien, Alassane Ouattara, peut être satisfait. Selon les estimations, il devait obtenir une large victoire à l'élection présidentielle organisée dimanche, s'assurant un second mandat dès le premier tour. Face à une opposition très affaiblie et divisée, cette réélection a été obtenue sans vraiment de mal, lors d'une campagne sans enthousiasme mais qui a débouché sur un scrutin apaisé. Les observateurs africains ont assuré, lundi, que les élections avaient été «crédibles», «libres et transparentes». Kouadio Konan Bertin, l'un des rivaux du sortant, a d'ailleurs dès lundi accepté les tendances publiées et félicité le vainqueur. Le satisfecit du clan présidentiel est d'autant plus grand que le taux de participation devrait s'établir à plus de 50 %, alors même que les analystes s'attendaient à un taux plus faible. Une plate-forme indépendante estime cette participation à 52 %. Et c'est sans doute dans ce chiffre, contesté par certains candidats malheureux, que viendront les polémiques d'après vote. «Mais cela n'ira pas bien loin», souligne un diplomate.
L'élection de 2015 ne connaîtra donc vraisemblablement pas le scénario catastrophique de celle de 2010, qui avait vu Laurent Gbagbo refuser la défaite, plongeant la Côte d'Ivoire dans une crise qui avait fait plus de 3 000 morts. Rien ne dit pour autant que ce retour aux urnes dans le calme a totalement tourné la page des tensions. «La participation ne change pas grand-chose à la réalité. La réconciliation en Côte d'Ivoire reste à faire, et c'est le grand échec du premier mandat du président», assure l'analyste Rodrigue Koné. Dès 2011, le président Ouattara s'était pourtant saisi de ce dossier, mettant sur pied une Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR), sur le modèle sud-africain, pour purger les vieilles haines. Mais l'organisme, confié à Charles Konan Banny, personnage hautain et alors trop proche du président, a failli. «La CDVR a travaillé de manière trop restreinte, trop peu publique, alors que c'était sa raison d'être», souligne Drissa Traoré, vice-président de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Le rapport final de la commission, rendue il y a près d'un an au président de la république, n'a toujours pas été publié. «Ce qui est très étrange, et, là encore, contraire à l'usage», insiste Drissa Traoré.
Les tribunaux ivoiriens, en jugeant plusieurs proches de Laurent Gbagbo, dont son épouse Simone, mais en épargnant les alliés d'Alassane Ouattara, ont renforcé cette impression d'une lecture partiale de l'histoire, d'une justice des vainqueurs. Et l'inculpation en septembre d'une quinzaine de proches du président, dont des militaires, n'a pas dissipé le malaise. «La justice ivoirienne est pour l'instant passé à côté de son rôle. Or les conflits naissent de l'injustice, de l'impunité et de l'exclusion», prévient Éric-Aimé Semien de l'Observatoire des droits de l'homme.
Ainsi, à Yopougon, une immense banlieue populaire d'Abidjan, largement acquise à Laurent Gbagbo, le sentiment de méfiance demeure. «On n'a pas peur, mais on se méfie des autres», glisse Émilien Graou, un habitant du quartier. Ces «autres», les partisans de Ouattara, il ne les désigne jamais. Le souvenir des violences qui se sont abattues entre les maisons de tôle sur les partisans de Laurent Gbagbo peu après son arrestation en avril 2011 reste trop vivace. On se raconte toujours les mêmes histoires de meurtres et de viols, jamais vérifiées, mais que tous tiennent pour vraies. Certaines le sont sans aucun doute. Émilien et ses amis n'évoquent en revanche que peu les exactions que les «autres» ont endurées, peu avant, de la part des miliciens gbagbistes. On se contente de les minimiser ou même de les nier. Car cela reviendrait à critiquer le président Gbagbo, emprisonné à La Haye depuis quatre ans, mais toujours considéré ici comme le seul chef légitime, voire parfois comme un nouvel apôtre martyr. «Ce refus d'une partie de la population d'entériner la chute de Gbagbo, cette sanctification de l'ancien président rendent le lancement de la réconciliation très compliqué pour le gouvernement. Mais c'est leur tâche de rassurer tous les Ivoiriens, de donner des gages. Il faut faire vite, maintenant, sinon le second mandat de Ouattara sera délicat», souligne un observateur.
Par Tanguy Berthemet
Début des procclamations des résultats par la CEI. Ouattara en piste pour un nouveau mandat.